1992, le Thrash est mort. Agé seulement d’une dizaine d’années, il a été assassiné dans la plus grande indifférence générale par des hordes de types aux cheveux gras sévissant dans ce genre qu’ils nommeront le Grunge et par d’autres jeunes loups à l’état capillaire tout aussi douteux et emplis d’une joie de vivre perceptible à travers le nom même de leur musique : le Death !
Metallica a sorti en 1990 un "Black Album" résolument plus Heavy que Thrash, et Dave Mustaine déclare à qui veut l’entendre qu’il a tourné la page rageuse avec ses anciens frères ennemis. Il apparaît par ailleurs plus apaisé, moins affecté par les substances diverses dont il commence à se détacher, et est entouré par un groupe qui, comble du miracle, n’a pas encore explosé malgré l’énorme tournée ayant suivi le mythique "Rust In Peace".
Mais si le Thrash avait pris un Lexomil, si Dave ne jouait plus les aspirateurs à plâtre avec sa narine gauche, si le public avait retourné sa veste en faveur de genres moins abrasifs et plus « mélodiques », qu’allait-il donc advenir de Megadeth ? Allait-il persévérer dans l’écriture de brûlots excédant à peine la demi-heure, mais remplis ras-la-gueule de breaks, riffs assassins, déluges de soli virtuoses ? Ou allait-il suivre le cours du temps, proposant une fournée de ballades hard-FM sur fond de grosses guitares qui tâchent ? Nul ne savait, et tous les fans espéraient secrètement un "Rust In Peace 2".
De "Rust In Peace 2" il n’y eut pas, et disons le clairement : il n’y aura jamais. "Countdown To Extinction" allait être l’album de la maturité, venant poser ses riffs et développements avec pondération. A croire que la drogue et l’alcool dont on n’imaginait pas Dave se débarrasser un jour avaient l’effet d’un accélérateur à particules sur sa musique, la rendant fulgurante et foudroyante. Et bien sûr, si l’on ne pouvait que se réjouir pour l’homme de ces changements, on attendait de voir leur effet sur sa musique.
L’écoute de « Skin Of My Teeth » et « Symphony Of Destruction » apporte une réponse tout simplement jouissive : sur un duo Menza / Ellefson qui a ralenti la cadence sans baisser d’intensité, viennent se poser des guitares graves, âpres et bourrées de feeling. Les structures sont définitivement passées du côté couplet / refrain, et les changements de rythmes incessants et inattendus ont pour ainsi dire complètement disparu. Mais étonnamment la musique reste tout aussi jouissive ! Le riff monstrueux de « Architecture Of Aggression » vient en témoigner, enfonçant le clou des deux premiers morceaux.
L’aspect mélodique s’est également vu renforcé, à l’image d’un « Foreclosure Of A Dream » prenant son envol sur des guitares typées Southern Rock, le titre donnant même à entendre un Dave Mustaine en (vrai !) chanteur ! « Sweating Bullets » adopte de la même façon un côté boogie aussi irrésistible que maîtrisé, « This Was My Life » ou « Countdown To Extinction » nous entraînant dans des spirales mélodiques imparables.
Reste une poignée de titres de bonne facture, même s’ils pourront sembler plus anecdotiques une fois comparés à ce que le groupe avait su produire quelques années auparavant : les « High Speed Dirt », « Psychotron » et « Captive Honor », même s’ils proposent encore quelques soli et riffs intéressants, sont moins prenants. « Ashes In Your Mouth » vient clôturer l’album avec une nouvelle rythmique lourde et martelée avec conviction. Le titre manque peut-être de ce petit grain de folie qui avait fait la magie de la première époque, mais tout cela est si bien exécuté qu’il faudrait vraiment résister pour ne pas se laisser prendre.
Le Thrash est mort, vive le Thrash ! Si "Countdown To Extinction" est résolument différent de ses prédécesseurs, il n’en conserve pas moins l’énergie et la passion. Dave et sa bande signent ici quelques-uns des titres majeurs du Heavy Thrash, se plaçant très nettement parmi le peloton de tête de cette nouvelle mouvance. 1992, le Thrash est mort, pas Megadeth !