La présentation de Travelling, composé par Jean-Jacques Toussaint, a tout pour inquiéter : un album entièrement instrumental, “naviguant de la musique classique contemporaine au Rock Progressif, sans oublier d'aborder les courants les plus expérimentaux”. Claviériste du groupe expérimental Tiemko, JJT revendique en effet plusieurs influences, depuis un rock progressif versant King Crimson au jazz de Michel Portal en passant par des compositeurs “classiques” comme Belà Bartok. Ces signatures ne sont pas les plus abordables dans leur registre ... D’un autre côté, le parcours musical de JJT, d’abord guitariste, puis pianiste, puis bassiste avant de revenir aux claviers, dénote une intéressante propension à parcourir des univers fort différents et à vouloir les faire connaître. C’est donc avec une prudente curiosité que l’auditeur se lance dans l’écoute de ce voyage musical.
Travelling est un album difficile à synthétiser, tant les influences sont diverses et dispersées. Un même morceau peut présenter des influences jazz sur une trame “classique” (Petite Symphonie Mécanique ou Ballade sur un Nuage), ou bien s’abstraire dans un atonal pas toujours évident à suivre (Travelling). Pour autant, il est difficile de rattacher la musique de JJT au courant du Rock Progressif dans la mesure où les thèmes musicaux présentés sont peu continus (sauf le premier morceau), ne donnant pas lieu à des développements de type variations, mais évoluant en segments courts qui interpellent l’auditeur, le forçant à un réel effort d’écoute. Le terme d’”illustration musicale” est souvent présent à l’esprit tout au long de Travelling, l’imagination ricochant d’un thème à l’autre. En ce sens, JJT réussit à constamment nous interpeller, mais peut-être pas à nous exalter : l’ambiance est ici plus studieuse qu’euphorisante.
Une constante remarquable tout au long de l’album est le soin apporté à la réalisation : production pointilleuse, précision des musiciens, grande variété dans les timbres instrumentaux utilisés... JJT n’hésite pas à utiliser les cuivres (Malthus), l’accordéon (Thé 95) ou même à s’appuyer sur un quintette à cordes (Passage), le tout sur un fond de claviers sophistiqués et de guitare classique, avec un gros apport des percussions. Là aussi, on ne peut que constater un refus de s’enfermer dans une continuité de bon aloi et le désir de solliciter l’auditeur.
La construction même de l’album est très intellectuelle. Si les premiers morceaux font montre d’harmonies présentes, ce désir mélodique se fait plus lointain vers le milieu de l’album. Ainsi, American Gang, Cartoune et Travelling s’engagent sur les sentiers escarpés de l’atonalité, et rendent le parcours assez ardu : dissonnances, contretemps, syncopes nous font basculer dans l’abstraction et l’expérimental, puis le retour, amorcé par le fil rouge (Hier Sera Comme Demain) se fait vers des rivages plus apaisés avec une réapparition finale du thème de départ (Qui Sait), cette petite valse jouée à l’accordéon façon Yann Tiersen.
Cet album est bien comme annoncé, un travelling circulaire partant du relativement aisé pour aller vers le plus difficile. Travelling est une oeuvre “interpellant”, peut-être pas celle qui tournera en boucle sur votre platine, mais elle pourra être apprivoisée par les amateurs de curiosités musicales qui ne veulent pas se confiner aux contrées surexplorées.