Le Métal a beau être une musique de sauvages pour ados rebelles, boutonneux et chevelus, il est toutefois régi par un ensemble de règles bien précises. Parmi elles on en trouve une particulièrement perverse : « 4e commandement du métal : si groupe mythique tu deviens, condamné à diviser tu seras » ! Ainsi, après que Metallica se soit mis à dos la moitié de ses fans en signant un "Load" à des années lumières de ces premiers efforts Thrash, il semble que Megadeth suive le même chemin avec sa nouvelle production.
En effet, si "Countdown To Extinction" avait été l’album de la transition, "Youthanasia" sera celui de la rupture. Alors que bon nombre des titres présents sur l’opus de 92 fleuraient toujours bon le Thrash complexe et accrocheur des premières heures, les nouvelles compositions proposées ici sont typiquement Heavy. Peu de breaks, encore moins de tiroirs, et une lourdeur jusque là jamais déployée. Et surtout, ce qui constitue le 1er commandement du Métal a été ici bafoué : « Commercial jamais tu ne seras ».
Il y a une certaine fierté chez la plupart des « Métalleux » à être marginal, et bon nombre d’entre eux se targueront fièrement d’aimer un genre qui révulse la majorité. Attention, nous retrouvons la même « exigence » ou « arrogance » dans bien d’autres courants : le jazz, le classique, le progressif… Seule la pop, qui revendique clairement vouloir plaire au plus grand nombre, échappe à ce constat. Or quoi de pire pour ces « puristes » que d’observer leur groupe favori passer de la marge à la majorité ? Et c’est exactement ce que Megadeth souhaite faire avec ce "Youthanasia".
Mais attention, il y a de l’excellente pop ! Bien meilleure à l’occasion que des œuvres si spécialisées qu’elles en deviennent hermétiques. "Youthanasia", s’il n’est pas de la pop, adopte une tournure mainsteam évidente, orientation qu’il prend avec talent et conviction. Dave et sa bande nous livre ainsi une série de compositions calibrées couplet / refrain, sur lesquelles Mustaine chante (si, si vraiment !), et où les soli sont distillés avec bien plus de retenue. C’est d’abord l’incisif « Reckogning Day » qui nous assène ces nouvelles règles du jeu : rythmique épurée et carrée, guitares lourdes et rageuses, et premier break surprenant puisqu’il calme le jeu par un solo tout en sensibilité.
Les hostilités étant lancées, nous voyons débarquer un « Train Of Consequences » au riff absolument irrésistible et au groove imparable. A nouveau, la structure est simple, et à nouveau, elle atteint parfaitement son but avec un « Addicted To Chaos » dégageant une émotion lors d’un refrain immense. « A Tout Le Monde » poursuit dans cette voix en faisant entendre quelques mots en Français, pour un titre traitant du suicide de façon sombre mais juste sur la forme et le fond. « Elysian Fields », « Blood Of Heroes », « Black Curtains » et « I Thought I Knew It All » viennent alors imposer leur marche lourde mais jamais écrasante sur vos tympans, parvenant à toujours nous emmener dans leur sillage sans jamais lasser, preuve que l’exercice est totalement maîtrisé.
« The Killing Road » semble revenir à des aspects plus rock tout en conservant ce même son massif, et en proposant à nouveau un solo efficace quoique moins speedé, tandis que « Family Tree » se place parmi les perles de l’album, servie par des lignes mélodiques parfaites. « Youthanasia » prend pour sa part toute son ampleur au moment d’une accélération Heavy irrésistible et l’album de se conclure sur un rythme plus soutenu avec un « Victory », égrainant les auto-citations renvoyant aux titres des compositions passées du groupe. Les dernières salves jouissives de soli achèveront de prouver aux plus septiques que Megadeth est toujours la même machine de guerre !
"Youthanasia" ravive une polémique infinie, la question étant toujours la même : est-ce mal de bien vendre ses disques ? La réponse est claire : non ! Il n’y a encore que quelques irréductibles esprits chagrins et bornés pour penser que tout ce qui est populaire est forcément moins bon : la qualité se vend aussi par wagons entiers quand elle est flagrante et évidente. Enterrez vos vieux clichés s’ils vous en restent, ou félicitez-vous de ne pas en être la victime, et surtout, prenez la peine de découvrir ce très bon album.