Tribunal du Métal, section Thrash, compte-rendu d’audience du 31 août 1999.
Le Juge : « Messieurs, nous sommes réunis ce jour pour entendre le verdict du jury concernant le nouvel album de M. Dave Mustaine et son groupe Megadeth : "Risk". Les dernières journées de débats ont pu donner lieu à quelques débordements, je vous prierais donc de garder votre calme sous peine d’expulsion de salle. Un rappel des faits à charge sera mené par l’avocat général, avant que la défense ne présente son dernier réquisitoire. Le jury se retirera alors et aura tout le temps nécessaire pour établir un verdict qu’il jugera juste en son âme et conscience. M. l’avocat général, la parole est à vous. »
L’avocat général : « Merci M. le Juge. Comme cela a pu être dit et répété ces derniers jours, nous sommes avec cet album en présence d’une trahison. Une trahison oui messieurs les jurés, car en se lançant dans cette entreprise commerciale et mercantile, M. Mustaine et ses acolytes ont tout bonnement bafoué tous les principes du Metal ! Le Metal qui nous enseigne le dépassement de la norme, quand ce n’est pas sa destruction totale. Le Metal qui nous a appris en premier lieu à nous affranchir des basses préoccupations si chères à la variété. »
Un homme dans l’assistance arborant un T-Shirt sur lequel trône fièrement le crâne de Vic Rattlehead se dresse et s’écrit : « C’est vrai ! Metaaaaaaaaaaaaaaaal ! »
Le Juge, frappant sur son bureau avec un marteau en granit gravé THOR : « Monsieur, je vous prierai de vous asseoir, il n’y aura pas d’autres avertissements. »
L’avocat général, refermant son exemplaire de Playboy en prenant soin de corner délicatement la page en cours : « Je disais donc mesdames et messieurs qu’il y avait eu trahison, non seulement envers le genre, mais aussi envers tous ses adeptes ! Bien sûr, nous avons été habitué à pareil forfaiture, et il n’y a pas si longtemps se tenait entre ces murs le procès de M. Hetfield et son groupe Metallica pour leurs crimes « Load » et « Reload ». Mais il y a chez Megadeth les preuves d’une préméditation totale et de longue date : après les Heavy "Countdown To Extinction" et "Youthanasia" dont on n’avait du souligner la qualité, le déjà très controversé "Cryptic Writings" avait sonné le premier coup de semonce. »
Le même fan se dresse, éborgnant au passage son voisin avec l’un des clous rivé sur son manteau mi-cuir, mi-mammouth : « Aux chiottes Cryptic ! RUST IN PEAAAAAAAAAAAAAAAAAAACE ! »
Le Juge, fouillant dans sa barbe de 10 ans pour en extraire une hache à double lame : « Je la sors cette fois-ci et je la jette la prochaine ! Veuillez-vous calmer monsieur. »
L’avocat général, recommençant son rituel littéraire : « "Risk" a donc porté le coup de grâce, mettant à terre en douze morceaux et autant de crimes toute la gloire passée d’un groupe qui n’est plus en déclin mais bel et bien dans la tombe. Ecoutez les Hard-FM « Insomnia », « Wanderlust » ou « Seven ». Repenchez-vous un court instant sur les pop « Breadline », « Ecstasy » ou le disco « Crush’Em ». Achevez de vous convaincre en vous repassant le sirupeux « I’ll Be There » et le lourd « Prince Of Darkness » ! Tout messieurs dames, ne vous paraîtra alors qu’échec, imposture artistique, racolage nauséabond ! »
L’assistance applaudit, sanglotant et reniflant bruyamment. Des groupies au premier rang brandissent leurs exemplaires dédicacés de "Killing Is My Business", offrant la vision de leurs poitrines dénudées à un juge martelant avec conviction son bureau en granit pour rétablir le calme. Le fan le plus virulent ayant tenté d’avaler un exemplaire de "Risk", sans enlever le film de protection, est conduit à l’infirmerie par les cheveux.
Le Juge, siégeant désormais derrière un tas de graviers, mais ayant rétabli le calme : « Merci maître, la parole est désormais à la défense. »
L’avocat de la défense s’avance, allure BCBG et petit attaché-case en peau d’Iguane tannée à la main. Malgré cette apparence douteuse, on distingue à son cou un pentagramme et sous sa manche gauche l’ébauche d’un tatouage Slayer Forever. « Merci M. le Juge. Tout d’abord, je tiens à préciser un point de loi : il ne peut y avoir de trahison sans trahi, et si le Thrash est la victime dans cette affaire, c’est une victime déjà morte et enterrée depuis bien longtemps ! Arrêtons de nous cacher derrière nos albums de Sepultura ou de Testament : l’âge d’or de notre genre chéri n’a duré qu’une dizaine d’année en tout et pour tout, et Megadeth ne vient avec "Risk" qu’apporter une pierre infime à l’édifice. »
Brandissant et agitant dans les airs un sachet en plastique contenant une copie calcinée de l’album incriminé, l’homme vient se placer face au jury, une larme perlant au coin de son œil : « Mesdames et Messieurs le jurés, voila ce que je condamne, voila ce qui me touche en plein cœur et qui devrait ne pas vous laisser indifférent : cet album a donné lieu à des élans de haine Thrashiale tout bonnement inacceptable ! On a vu des boutiques saccagées le jour de sa sortie, une pierre tombale « Rust In Peace » étant déposée devant les présentoirs. Or rien, non rien (une voix raisonne dans la salle : « Non rien ! »), ne peut légitimer ces actes à mes yeux, quand partout où mon éminent collègue voit le mal je voix le bien ! »
« En effet, lorsque mon collègue conspue « Prince Of Darkness », je vois en lui et en « The Doctor Is Calling » l’expression d’un Heavy Metal pur et maîtrisé ! Là où il parle de Hard-FM avec « Insomnia », « Wanderlust » et « Seven », je vois des titres imparables aux rythmiques travaillées mêmes si elles peuvent paraître simples. Le disco « Crush’Em » me fait tout autant taper du pied, et la reprise de son beat sur « I’ll Be There » fait de cette ballade un autre excellent moment. Enfin, j’affirme que « Breadline » et « Ecstasy » ont encore à la main la pelle qui leur sert à enterrer la moitié des titres pop de l’époque et assommer l’autre ! Quand c’est un diptyque aussi finement ciselé que « Time » qui vient vous replonger dans les profondeurs pour conclure l’offrande, vous avouerez qu’il devient difficile de ne pas concéder une grande valeur à cette œuvre ! »
Au fond de la salle un ado boutonneux à l’appareil dentaire proéminent applaudit timidement. Une hache traverse la salle et le juge de s’écrier « J’avais prévenu contre les débordements ! ».
Le Juge : « Le jury va maintenant se retirer pour délibérer et rendre son verdict. Je tiens à rappeler que la présence d’une tireuse à bière dans la salle mise à leur disposition ne justifiera à aucun moment que l’on exerce des pressions sur eux. »
6 jours et 154 écoutes du "Risk" plus tard…
Le juge : « Messieurs les jurés, êtes-vous parvenus à un verdict à l’unanimité ? »
Dave Mustaine : « Oui M. le Juge. »
Le Juge : « Nous vous écoutons. »
Dave Mustaine : « En accord complet avec moi-même, je déclare que "Risk" est un très bon album, sans doute pas le plus cohérent ou le meilleur que j’ai pu réaliser, mais en tout état de faits une œuvre dans laquelle j’ai cherché à délivrer la musique qui me semblait la meilleure. Certes, j’ai changé depuis mes débuts purement Thrash. Certes, je conçois que l’on puisse traiter cet album de racoleur, commercial ou pop, mais accuse-t-on des Def Leppard ou des Bon Jovi de faire la musique qu’ils font ? Cet album n’est en aucun cas une trahison, je l’ai façonné comme je voulais qu’il soit, en plein accord avec mon inspiration du moment. Bien sûr, de nombreux fans seront perdus, mais là où ils voient un motif de haine je voudrais qu’ils voient l’innovation et l’exploration de nouveaux genres. "Risk" est un bon album j’en suis convaincu et il mérite qu’on lui prête attention. »
Le Juge, étouffant un sanglot : « Magnifique verdict M. Mustaine, je crois parler au nom de la Musique elle-même en vous encourageant à ne pas prendre en compte les ragots et à continuer votre route comme bon vous semble ! La séance est levée. »