Voilà un super projet comme peu de gens à part Arjen Lucassen savent nous en produire. Roswell Six est le fruit des passions conjointes de Shawn Gordon, patron de ProgRock Records, et de l'auteur Kevin J. Anderson pour la musique progressive et la littérature fantastique. Shawn a assemblé un line-up de rêve pour donner vie aux compositions d'Erik Norlander et aux textes d'Anderson, co-écrits avec son épouse et co-auteur Rebecca Moestra : Michael Sadler, John Payne, James LaBrie et Lana Lane au chant, Gary Wehrkamp et Chris Brown (Ghost–Circus) aux guitares, Norlander aux claviers bien sûr, David Ragsdale au violon, Kurt Barabas (basse), Chris Quirarte (Primary) à la batterie, Mike Alvarez (violoncelle) et Martin Orford à la flûte !
L'album dure près de 73 minutes, réparties sur 13 morceaux (dont deux instrumentaux). On retrouve le style de Norlander dans ce qu'il a pu écrire de plus épique pour sa femme Lana Lane (on pense un peu aux albums "Queen of The Ocean" et au plus lourd "Secrets of Astrology", mais en plus réussi).
"Terra Incognita" flirte donc avec le métal progressif mais il est difficile de le classer dans ce genre car bon nombre de morceaux ne sont pas métal. La musique repose plutôt sur les innombrables claviers de Norlander, même si elle peut être très puissante. En fait, un peu comme Shadow Gallery, Roswell Six ne donne jamais dans un son trop lourd ni trop saturé, surtout en ce qui concerne les guitares. Et on compte au moins trois ballades (dont deux absolument magnifiques sont chantées par un Michael Sadler impérial et la dernière par Lane). En fait la plupart des morceaux après les deux premiers sont plutôt épiques, avec parfois des changements de rythmes, mais ils ne sont pas tellement complexes, juste moyennement évolutifs, avec une durée tournant autour de 4:30 - 5 minutes. Priorité à la mélodie, au chant et à l'émotion donc, mais qui s'en plaindra, à part les inconditionnels du break-inévitable-toutes-les-30-secondes ?
Un très bon équilibre entre tempos moyens, rapides et lents est ici trouvé, avec des tonalités et des styles divers qui entretiennent l'intérêt et évitent tout risque d'ennui. On notera cependant pas mal de morceaux ou de sections orientalisantes plus ou moins pesantes et grandioses. Norlander développe un arsenal de claviers et de synthés analogiques réjouissant et délivre une bordée de soli inspirés dont il a le secret, empreints d'une virtuosité modérée, mais il utilise aussi des échantillons orchestraux splendides. Ragsdale brille également dans plusieurs solos puissants ou plus légers. Les guitares assurent surtout un rôle rythmique et harmonique (quelques belles parties jouées en "slide"), le tout soutenu par la rythmique puissante mais occasionnellement assez inventive de Quirarte et Barabas.
Curieusement, les deux morceaux les plus longs sont situés au début de l'album avec notamment les 11 minutes du grandiose et orientalisant "Ishalem" en ouverture. Le morceau est un véritable tour de force et l'un des chefs d'œuvre du rock progressif symphonique, avec les quatre chanteurs intervenant à tour de rôle et en chœur, les parties solistes étant assurées par Norlander et un David Ragsdale inspiré et définitivement trop rare dans notre monde musical. Grandiose, lyrique, puissant mais aussi subtil, composé de plusieurs sections alternativement lentes et rapides, grandioses ou apaisées, "Ishalem" contient pour ainsi dire tout ce que l'on peut attendre du genre.
On retrouve un petit côté Deep Purple dans le rapide "Call of The Sea", toujours épique mais plus linéaire, interprété à merveille par un Michael Sadler assez inattendu sur ce type de morceau, en duo avec John Payne. Norlander surprend aussi avec un hommage à Rush sur "The Winds of War", qui rappelle "Red Sector A" en plus grandiose.
Il faut l'avouer, les mélodies de cet album sont souvent les meilleures qu'ait jamais écrites Erik Norlander. Développant ici ses aspects les plus progressifs et symphoniques, il atteint avec de tels interprètes une autre dimension. Chacun d'eux endosse en fait le rôle d'un personnage dans l'histoire d'Anderson : Lana Lane se taille la part du lion et c'est ensuite Michael Sadler qui est le plus représenté. LaBrie chante également deux morceaux seul. John Payne quant à lui n'a aucun morceau pour lui seul et n'intervient que sur trois d'entre eux, ce qui est un peu dommage vu la richesse de son timbre grave et viril.
L'énergie est au rendez-vous mais contrebalancée par beaucoup de subtilité, comme en témoignent les interventions de Martin Orford et surtout de David Ragsdale sur bon nombre de morceaux. Dommage quand même que Gary Wehrkamp ne nous offre que deux soli bien courts. Lorsque l'on a la chance de pouvoir compter sur un musicien tel que lui, capable d'asséner des descentes de manches fulgurantes aussi bien que des envolées lyriques à la David Gilmour et des harmonies à la Brian May, ses multiples talents auraient pu être utilisés plus à fond.
Mais ne boudons pas notre plaisir, "Terra Incognita" est un grand album dont on ne peut que souhaiter le succès, succès qui donnerait certainement envie aux protagonistes de lui faire une suite correspondant au deuxième tome de cette saga. Une superbe surprise...