Copernicus est le projet du claviériste Joseph Smalkowski qui sévit à New-York depuis le début des années 80. Après un premier album sorti en 1985, l’homme se montre prolifique en proposant les cinq années suivantes pas moins de quatre albums, qui seront suivis en 1993, 2001 et 2005 de trois autres productions. Refusant d’être considéré comme un musicien à part entière, mais plutôt comme un poète de l’improvisation – ce qu’il est plus certainement d’ailleurs –, Smalkowski gravite depuis deux décennies autour de plusieurs mondes musicaux bien distincts qu’il ne cesse de tenter de rapprocher : le rock alternatif, le jazz, la musique classique mais aussi et surtout l’avant-garde. 2009 est l’année d’un nouveau méfait, long et dense, Disappearance, dont j’ai reçu – après l’avoir imprudemment demandée – la lourde charge d’en réaliser la chronique.
Voici une entrée en matière bien négative me direz-vous ! Et peut-être n’aurez-vous pas tout à fait tort de vous en étonner, car cet album, d’une complexité redoutable et d’un abord extrêmement aride, ne manque pourtant pas de qualités. Copernicus déclame tout au long des sept morceaux qui composent le disque des textes indissociablement poétiques et philosophiques, qu’en tant qu’anglophone médiocre je n’ai su vraiment comprendre mais dont il est aisé d’imaginer la profondeur (réelle plus que supposée, du moins faut-il l’espérer) au vu du ton, ample, grave et pénétré usé par notre narrateur. La musique n’est pour autant pas reléguée comme simple support atmosphérique, et se fait plus diverse qu’il n’y paraît au premier abord. Il faut cependant attendre le troisième titre, "The Blind Zombies", pour accéder à une certaine immédiateté musicale, à la fois jazz-rock et symphonique, qui s’offre d’ailleurs le luxe d’une longue parenthèse classique aux cuivres et aux cordes parfaitement intégrés, via un jeu sur la dissonance, à cet ensemble plus rock.
Tel Janus, le dieu romain aux deux visages opposés – ou, si vous êtes plutôt porté sur la mythologie cinématographique, Double-Face dans Batman –, Copernicus entretient une personnalité musicale duale, voire carrément multiple ; et c’est bien cela qui rend cet album si attachant, passé les deux premiers titres, labyrinthiques, bien trop étirés pour ce qu’ils ont à proposer. Car il ne suffit pas de savoir créer une ambiance originale, par bien des aspects angoissante et sombre, pour construire des morceaux convaincants. D’une toute autre façon, "Atomic New Orleans" nous laisse un peu sur notre faim ; le chant tout comme la suite d’accords, basés sur une rythmique en shuffle typiquement bluesy, surprennent parce qu’ils se réfèrent à une tradition musicale bien connue et facilement appréhensible, mais du même coup ne sont pas loin de décevoir après deux morceaux beaucoup plus personnels.
Mais globalement, le travail réalisé autour de l’improvisation (guitares, claviers et saxophone principalement), de thèmes cette fois-ci très composés et souvent envahis par la dissonance, d’arrangements riches et variés usant toute la palette sonore qui sépare l’acoustique de l’électrique, and last but not least, de l’organe vocal, finalement attachant malgré son aspect répétitif, reste de bonne facture. Copernicus trouve même le moyen de nous faire songer au Pink Floyd d’Atom Heart Mother sur le morceau "Poor Homo Sapiens", avec cette richesse supplémentaire que constituent de nombreuses et prononcées incursions dans le jazz pur. Au contraire, l’aspect symphonique est beaucoup plus discret sur "Revolution !!", plage clairement free-jazz aux longues improvisations déstructurées soutenues par une basse ronflante à souhait, agrémentée de mélopées vocales et d’arrangements tendus à l’extrême qui lui confèrent un aspect épique indéniable – ce qui est la moindre des choses au vu du titre choisi.
Disappearance est donc un album curieux, très inventif mais qui peine parfois à tenir les promesses qu’il pourrait laisser entrevoir à tout auditeur désireux de d’éloigner des chemins battus du jazz ou des musiques improvisées. Ce qui s’apprécie durant 20 ou 30 minutes finit par lasser sur la durée d’un disque de plus de 70 minutes exclusivement cérébral, intellectuel et cultivé, quoique souvent joliment décalé et inattendu. Difficile dans ces conditions de mettre une excellente note, mais un auditeur spécialement endurant ou déjà accoutumé à l’approche musicale si particulière de Copernicus saura peut-être apprécier cet album à sa plus juste valeur.