En 1994 s’éteint Kurt Cobain. L’idole du Grunge entraîne dans sa chute le genre qu’il avait contribué à populariser, et dont il était pour beaucoup l’incarnation même. On voit donc rapidement s’essouffler les Pearl Jam, Soundgarden ou autre Alice In Chains. Rapidement apparaissent sur les lieux du drame les progénitures plus ou moins légitimes de l’héritage Grunge : les Creed, Bush… Reprenant les codes du genre, à savoir la rage et la puissance des guitares, ils épurent par contre la production et se lancent dans un formatage en règle des compositions.
1999, la vague Post-Grunge balaie le reste des décombres. Jusqu’alors les maîtres du genre étaient allés chercher du côté d’un Nirvana ou d’un Pearl Jam, mais la fin des années 90 voit le Neo faire son apparition et les dernières cendres s’envoler. Entre revival Punk et développement de genres de plus en plus extrêmes, on oscillait radicalement d’une frange hystérique à crêtes blondes et voix suraigües, jusqu’à une minorité grandissante de déménageurs Suédois aux intonations gutturales.
Mais revenons au Post-Grunge ! Staind, Nickelback et Seether en tête, chaque groupe s’achemine vers des sonorités plus lourdes, plus métal, mais aussi plus mélodiques. Rejeté par ceux la même dont ils se réclament, le genre se rapproche de sonorités pop et par la même occasion des radios. C’est ainsi qu’apparaît Breaking Benjamin, fondé en 1998 autour de son leader, chanteur et guitariste Benjamin Burnley.
Pour bien saisir le pourquoi du comment de cette longue introduction sur le genre, il me faut bien vous faire comprendre que Breaking Benjamin n’offre avec Saturate aucune avancée notable par rapport à ses camarades. Les morceaux sont construits de la même façon que des centaines d’autres, la voix ressemble à s’en méprendre à celle de ses voisins, à peine différenciée par quelques growls pas toujours pleinement maîtrisés : tout sera ici susceptible de vous rappeler tel ou tel titre entendu sur vos radios au début des années 2000.
Prenons par exemple les singles que furent à l’époque « Polyamorous » et « Skin ». Le premier de ces titres est une composition efficace, matraquée comme il se doit, offrant un refrain fédérateur sans paraître pour autant racoleur : un bon titre, qui ne transcende rien ou si peu, mais qui s’avère de très bonne tenue. « Skin » est plus discutable, en morceau à mi-chemin entre punk et guitares grasses plus métalliques, il rappelle tous ces titres de teen-movies américains, si calibrés qu’ils en deviennent rapidement ennuyeux, pour ne pas dire creux.
Il y a pourtant de bonnes choses sur cet album, et pour peu que l’on soit sensible au genre, c’est à n’en pas douter une bonne sortie : « Natural Life » se fait plus dur et gagne en profondeur, « Wish I May » ménage parfaitement ces effets entre couplets rageurs et refrains plus mélodieux, « Next To Nothing » s’improvise en bonne power-ballade, l’intro aux percussions de « Phase » ou les quelques arrangements de « No Games » osent quelques innovations. Breaking Benjamin a au moins le mérite (non négligeable) d’essayer de se dépasser lui-même jusqu’à la dernière note, comme en atteste les vocaux très Neo de « Sugarcoat », ou l’acoustique naïve mais bien menée de « Saturate ».
On pardonnera donc les « Tou Dou Dou » de « Medicate », ou l’ennui qui nous gagne sur « Water », et l’on se souviendra qu’il s’agit là d’un premier album dans un genre malheureusement très stéréotypé. On aura un peu de mal à définir précisément ce qui poussa certains à choisir cette écurie plutôt que celle du voisin, mais on devra en toute honnêteté reconnaître que ce choix n’est pas mauvais en lui-même, Breaking Benjamin livrant dans son genre un album puissant, mélodique et prometteur.