III Sides to Every Story est sorti depuis trois ans quand arrive le nouveau Extreme, Waiting For The Punchline. Les nombreux amateurs du groupe ont pu être décontenancés par l'orientation presque progressive de IIIStES et ils attendaient beaucoup de ce nouvel album, qui s'avèrera être le dernier (jusqu'à l'année dernière bien sûr). Le quatuor n'a jamais changé depuis Extreme en 1989 et, première nouveauté, le batteur originel, Paul Geary, n'est plus de la partie, remplacé par un des meilleurs batteurs de sa génération, Mike Mangini (Steve Vai, Annihilator). En réalité, Mike n'apparaît que sur trois titres, les autres ayant été enregistré par Geary avant son départ. Outre ce changement rien n’est à signaler pour le groupe en apparence. Sauf qu'en privé, Nuno Bettencourt murit son envie de s'émanciper d'Extreme pour débuter sa carrière solo. Signe de cette volonté, le premier album de Nuno, Schizophonic, aura été composé en grande partie pendant la dernière tournée de la formation.
Considéré par une majorité de mélomanes comme un disque très inégal, ce Waiting For The Punchline réserve malgré tout quelques très bons moments de musique. Mon pseudo ne laisse aucun doute sur mes goûts concernant ce groupe et malgré toute la mauvaise foi que je peux exprimer quand la discussion traite d'Extreme et de Nuno Bettencourt, je vais essayer d'être le plus juste possible. Tâche ô combien difficile surtout avec ce disque qui me rappelle les longues heures à essayer de rejouer le nombre incalculable de rythmiques et de soli du dieu Nuno. Plus qu'aucun autre album d'Extreme, ce WftP est une mine d'or pour les guitaristes car il est riche en technique et assez sobre dans les sons et les effets utilisés.
Les hostilités débutent avec un titre « engagé » comme Nuno Bettencourt et Gary Cherone aiment en écrire. « There Is No God » est assez explicite dans son intitulé pour ne pas être développé plus que ça. Le son est brut, le rythme est lourd et la volonté de proposer un anti-III Sides est patente. Rien de superfétatoire ne vient perturber ce qui doit être le rendu de trois instruments jouant ensemble sans fioritures ni orchestrations. En pleine période grunge, l'ambition (ou la non-ambition) est clairement de faire dans l'immédiat et le vintage. Ce choix se révèlera même un coup de génie car presque 15 ans après sa sortie, WftP n'a pas pris une ride tant sa production (encore une fois signée Nuno Bettencourt) est dépouillée.
Les trois morceaux qui suivent sont tous des réussites. « Cynical » est à rapprocher de « Hip Today » dans un style funk métal bourré de groove (les soli de ces deux morceaux ne sont pas d'une difficulté insurmontable quand on connait ce dont est capable le portugais, mais le toucher de Nuno y est à son apogée). « Tell Me Something I Don't Know » est un morceau assez particulier car il prend corps sur un faux rythme assez lancinant, presque hypnotique. Les envolées vocales de Gary Cherone, alliées aux accords stridents avec delay de Nuno provoquent une exaltation mêlée d‘un sentiment d’étourdissement.
Les morceaux que sont « Naked », « Leave Me Alone », « Evangelist » et « Shadow Boxing », sans être mauvais, n’apportent rien de fondamental à cette chronique surtout quand un instrumental comme « Midnight Express» est proposé. Celui-ci est une démonstration de la classe de Nuno Bettencourt. La rapidité d’exécution et le travail des étouffés sont stupéfiants. Nuno arrive à tirer de sa guitare acoustique des sons très originaux et même après des dizaines d’écoutes il m’arrive encore d’être surpris par tel ou tel plan.
Parmi les bons morceaux de cette galette, on retrouve un « No respect » à écouter très fort pour l’énergie que dégage les cris de Cherone et pout le solo supersonique et sweepé du maître, ou un « Unconditionaly », une ballade assez conventionnelle mais qui passe bien. En morceau fantôme qui vient juste après cette dernière chanson, le titre éponyme « Waiting For The Punchine » et sa rythmique lourde vient terminer un album inégal mais extrêmement attachant.
La basse de Pat Badger prend tout son sens dans cet album et elle est d'une prépondérance qui vient pallier à l'absence des multiples instruments que Nuno incorporait dans ses compositions (cuivre entre autres). Que dire concernant les trois apparitions de Mangini, sinon qu’elles sont lumineuses car il apporte tellement plus que Paul Geary (le talon d’Achille du groupe à mon sens avec son jeu trop linéaire) avec un toucher et une puissance qui vient coller parfaitement à la musique des bostoniens, que le le jeu de Nuno se passe de commentaire et qu'enfin l’on apprécie toujours d’entendre Gary Cherone même si l’orientation de cet album ne lui permet pas d’exprimer toutes les nuances de sa voix.
Pour terminer, on ne peut pas parler d’Extreme sans évoquer, même rapidement, la teneur des textes écrits par le duo Bettencourt-Cherone. Comme à leurs habitudes, ceux-ci sont porteurs d’un propos non dénué d’intérêt, et sans être aussi polémiques qu’avec III Sides (car moins politisés), ils n’en restent pas moins attachés à décrire certains traits et faiblesses d’une humanité décidemment très imparfaite.
Absent de cet album, l’excellent « Never Been Funked » avait été vendu exclusivement en version deux titres sans jamais être associé au LP car la démocratie au sein d’Extreme en avait décidé autrement (au grand dam de Nuno). Preuve que malgré la mainmise de Nuno sur le groupe, le sens du collectif était plus important que tout. C’est sans doute ce qui a permis au groupe de se retrouver presque 15 ans après pour un nouvel album qui semble reprendre l’histoire là où elle s’était arrêtée.