Ecrivez moi ça OHMPhrey, s'il vous plaît ! Comment ça, c'est compliqué ? Et puis on ne met que la première lettre en majuscule à un nom propre en français ? Oui, ça va, je suis au courant, mais je vous explique : c'est en référence à l 'origine de ce groupe, qui est une sorte de fusion de deux autres formations. Ou plutôt un projet formé par certains musiciens de ces deux formations : "OHMPhrey", c'est pour OHM et Umphrey's McGee.
Magna Carta a déjà participé à la création de plusieurs collectifs de musiciens que l'on met en studio pendant quelques jours, avec l'espoir qu'ils en ressortent avec des improvisations de génie que l'on puisse graver en album... Un moyen astucieux pour ne pas trop dépenser, en quelque sorte ! Allez, pas trop de cynisme. Cette recette a tout de même produit deux albums de Liquid Tension Experiment (les meilleures ventes de Magna Carta) et deux de Bozzio, Levin, Stevens.
Cette fois-ci, il s'agit de trois membres de Umphrey's McGee : Joel Cummins (claviers), Kris Myers (batterie) et Jack Cinninger (guitares) plus deux du groupe OHM, formation fondée par le légendaire Chris Poland, toujours connu pour sa contribution aux premières heures de Megadeth, alors qu'il a fait bien du chemin depuis et notamment formé ce groupe avec le bassiste Robertino Pagliari qui figure sur cet enregistrement. "OHMphrey" a été apparemment enregistré en 2 jours sans overdub… Il faut croire que les musiciens avaient quand même quelques thèmes en réserve, vu le résultat. Un résultat qui, s'il ne ressemble guère à une suite d'improvisations chaotiques avec des dizaines de soli mis bout à bout, n'évite malheureusement pas les nombreux écueils de ce genre de projet.
"Someone said you were dead", un des rares morceaux courts de l'album, rappelle un mélange jazz-metal comme le développe Planet X depuis quelques années déjà avec des intonations à la Allan Holdsworth plus marquées. Poland imite parfois le maître avec un son très lisse, très clair et une fluidité de jeu surhumaine. Jack Cinninger est lui aussi un très bon guitariste et ne se prive pas de le montrer dans des soli au son plus rugueux mais souvent mélodiques et particulièrement incisifs. La plupart des autres morceaux ne sont pas franchement typés metal et on retrouve plutôt un son de guitare très clair en rythmique sur la plupart d'entre eux.
Le second morceau "The girl from chi town", est bien plus calme, aérien, avec ses arpèges clairs et liquides, son solo de synthé analogique vaporeux et sa rythmique feutrée. Il rappellera à certains les Dixie Dregs de Steve Morse à leurs débuts (notamment l'album "What if" de 1978), mais aussi les modèles qui les influencèrent, comme Return To Forever. Poland nous offre un autre solo poignant et surhumain façon Allan Holdsworth. Les claviers de Joel Cummins apportent un plus sensible à ce genre d'exercice par rapport à d'autres essais du genre uniquement en power trio. Celui-ci, même s'il est parfois très discret, enrobe certaines compositions de ses synthés et crée un lien supplémentaire entre les instruments, et ce n'est pas facile sur cette musique diablement technique !
"Denny by the jail", morceau assez rock, rappelle plus ou moins fortement Rush dans les années 70, avec une guitare au son relativement proche de Alex Lifeson. Là encore le groupe joue serré et ne se contente pas de pondre des soli mis bout à bout, ce qui n'est pas évident à cinq ! C'est un peu comme la différence entre jongler avec 3 balles et faire le même exercice avec cinq. Sauf que là, les balles, ce sont les musiciens ! Par contre, "Lake shore drive" est plus répétitif. Trois des huit minutes et quelque du morceau auraient pu être coupées tant on sent une certaine hésitation.
Les deux derniers titres, les plus longs, n'échappent pas à une certaine redite. "Shrooms 'n cheese" aurait peu être un peu retouché, recentré dirait-on, malgré quelques très bonnes sections, notamment le début avec les deux guitares et la basse qui s'en sortent à merveille. Les claviers y sont plutôt discrets, n'arrivant qu'au bout de 3 minutes avec une texture planante qui sert de fond au tricotage des guitares et de la basse, supporté par la batterie feutrée mais frénétique de Myers. Vers 9 minutes le groupe alourdit un peu le propos sur un rythme funk irrésistible mais la tension retombe un peu sur la fin. Cummins est globalement très peu présent. Par contre, "What's the word, thunderbird" ressemble plus au style indéfinissable de Umphrey's McGee, plus funky, avec un synthé distordu en intro, qui reviendra faire un solo du même style un peu plus loin, avec quelques délires en plus. La basse fretless ronde et féline de Roberto Pagliari fait merveille, avec là-aussi un petit solo qui force l'admiration, sans casser le rythme, bien au contraire. Alors bien sûr, il y a encore quelques petits passages un peu superflus (les trois dernières minutes, peut-être) mais globalement, le résultat est une franche réussite dans le genre.
"OHMphrey" un album fort recommandable, et pas seulement aux amateurs de jazz rock. Une belle occasion d'élargir sa culture musicale. Malgré les inévitables petits défauts mentionnés ci-dessus, la variété de l'inspiration et le talent mélodique et technique de ces cinq musiciens rendent le disque souvent passionnant et rafraîchissant.