Au sujet d'un album, l'importance des conditions d'écoute est très souvent mentionnée : "il faut l'écouter la nuit", "il faut l'écouter fort", "il faut l'écouter les jours impairs"... En sortant ce "Demi Masa", les indonésiens de Simak Dialog - qui n'en sont pas à leur premier essai discographique - m'ont permis d'expérimenter très concrètement cette théorie.
Il faut savoir avant toute chose que Simak Dialog évolue dans un jazz tout ce qu'il y a de plus soft. Le genre qui ne déborde pas. Ma première écoute de l'album eu lieu dans un de nos chers RER parisiens, au milieu de la sueur et du monde. Et là arrivent dans mes oreilles les délicates petites notes de la première piste, égrenées sans aucune logique apparente. Pas de mélodie, pas de rythme, des sons minimalistes. Inutile de vous dire qu'après moins de cinq minutes, la sueur perlait sur mon front, et qu'avant la fin de cette première pièce de près d'un quart d'heure, je mettais fin au supplice en m'envoyant quelque chose d'un peu plus binaire.
Arrivé au boulot, je reprends l'écoute là où je m'étais arrêté. Malgré le calme ambiant, rien n'y fait. Il est presque impossible de rentrer dans cette galette de par la complexité des motifs mélodiques, ni même de se laisser porter par elle dans la mesure où aucun élément ou instrumentiste ne se dégage. C'est tout juste si le jeu du guitariste nous rappelle au détour d'une fioriture le son qu'un Jeff Beck peut utiliser en de pareilles circonstances (sur "Blow by Blow"). Le tout fait la plupart du temps sournoisement penser à la bande sonore des Sims (c'est un style).
Mais le chroniqueur est pugnace face à une œuvre hermétique. Et la galette accompagnera quelques journées de bureau, révélant par-ci par-là des phrasés de claviers rappelant Keith, que ce soit Emerson dans les passages piquants, ou Jarret dans les moments plus coulants. Ces écoutes permettent d'apprécier, à défaut d'autre chose, la qualité de la production qui permet de bien mettre en valeur certaines singularités sonores dues aux instruments exotiques utilisés et dont je vous épargne les dénominations.
Ma troisième 'condition d'écoute' fut chez moi, tandis que je travaillais sur autre chose, l'esprit au calme. À ce moment là : surprise. L'album est agréable et flotte délicatement sur le fleuve de la sérénité ambiante (en inspirant à votre serviteur des métaphores très asiatiques, ce dont il s'excuse avec toute l'humilité qui caractérise cette région du monde). Les petits passages remarqués plus haut deviennent alors des gorgées d'eau fraiche, des petits plaisirs piquants. La production irréprochable est alors un écrin d'écoute qui met avantageusement en avant ces petites gâteries.
Vous comprendrez aisément que je ne vous recommande pas chaudement cet album. Trop peu accrocheur, il s'apparente plus à un jam qu'à un travail fini. Pourtant, comme je vous l'ai raconté, il est possible d'y passer un agréable moment d'écoute. Et pour ceux qui se sentent ouverts au voyage, le résultat, sans être transcendant, est au moins garanti sur facture.