En 1997, sort "Room Seven" le troisième album des nordistes de SUP (Spherical Unit Provided), premier au sein de Holy Records. La première chose qui frappe avec ce disque, c’est la qualité du packaging. Il apparait évident que le groupe a apporté un soin tout particulier à la présentation de sa musique, que ce soit via le livret qui comprend les paroles retranscrites en 7 langues différentes, ou au travers des superbes illustrations en image de synthèse. Illustrations, qui de part leur aspect froid et sophistiqué constituent une très bonne entrée en matière dans l’univers de ce concept album.
En effet, dès les premières notes de "Deliverance", le groupe nous plonge, nous immerge, nous noie dans un univers glacial, oppressant et violent. Les compositions sont servies par un son puissant et une orchestration intelligente, qui en font de véritables massues. La maturité est surprenante, et nous rappelle que ce "Room Seven" est la dix-septième œuvre musicale sortie par ces protagonistes sous des noms différents (Supuration, Etsicroxe et SUP).
Cet album concept, né en grande partie de l’imagination du batteur Thierry Berger, qui quittera SUP après ce disque, dépeint les rapports entre une mère et son enfant autiste via l’histoire d'un gamin souffrant de troubles psychiatriques. Celui-ci s’est créé un univers fantasque dans lequel il endosse le rôle d'un psychiatre qui suit de près Anthéa, une de ses patientes qui vie recluse dans une chambre capitonnée de l’hôpital. Le garçon, qui dans la réalité n’est autre que le fils d’Anthéa, inverse dans ses délires les rôles et nous plonge dans les désirs et les anxiétés du médecin qui, obnubilé par Anthéa, commence à devenir angoissant et à sombrer dans l’aliénation. Intervient alors le directeur de l'hôpital qui s’inquiète de la relation trouble que ce docteur développe avec Anthéa, et qui est perçu par l’enfant comme un serpent, dont les yeux absorbent son double médecin. Totalement rongé par la folie contagieuse d'Anthéa, dont il commence à partager les visions, le psychiatre échoue lui aussi dans une cellule aux côtés de celle-ci. L’histoire prend fin lorsque le jeune garçon, perdu dans sa folie et celle de son entourage, reprend momentanément contact avec la réalité, et parvient à envoyer un dernier message d'amour à sa mère via le clavier qui est désormais son seul vecteur de communication.
Bien que chaque morceau ait une ambiance très particulière, ils possèdent tous en filigrane une froideur et des relents d’aliénation qui sont accentués par une répétition et une lourdeur des mélodies et des rythmes utilisés. Le coté mécanique présent sur les 2 précédents opus de SUP s’est pourtant grandement atténué, et des sentiments fleurissent ça et là. Le groupe a en effet quitté les territoires gelés du zéro absolu pour réchauffer un peu sa musique à la tremblante flamme de l’amour que laisse entrevoir "Room Seven". Un amour trouble et sombre, mais un amour qui apporte un peu de chaleur (le terme "tiédeur" serait certainement plus approprié) à leur musique. De fait, même le chant est un peu plus humain. L’équilibre qui prévalait jusqu’alors entre chant clair et chant Death, a été totalement brisé et le chant grunt n’occupe plus qu’une faible partie du mode d’expression vocal du groupe. Si cette prédominance du chant clair rend indéniablement l’ensemble plus accessible, elle constitue aussi une de mes déceptions. En effet, la dualité chant clair / chant Death ("A Blue Sweetness", "The Fall Is Too Long") apporte une parfaite illustration sonore du dédoublement de personnalité des protagonistes, et concoure à renforcer l’ambiance trouble et schizophrénique de ce disque. Accentuer plus encore cette voie m’aurait semblé être une bonne option.
Les guitares semblent mixées un peu en retrait et compressées, comme si elles avaient été enregistrées dans un univers clos. Cela renforce le sentiment de claustrophobie sans pour autant réduire la puissance du propos. Puisque l’on parle de puissance, il convient de s’arrêter sur la basse qui est omniprésente et insuffle une force et un esprit martial bien efficaces. Mais plus qu’un élément pris individuellement, c’est l’ensemble des sonorités de ce "Room Seven" qui contribue à donner un caractère unique à la musique. L’utilisation de sons électroniques, d’effets numériques sur la voix et les instruments d’une part et la production qui loin de privilégier une piste cherche plus à créer un tableau musical complexe d’autre part. Tout cela concourt à faire de la musique de SUP un ensemble oppressant et exigeant.
Pour autant, ce "Room Seven" est probablement l’album le plus accessible de SUP. Cela est certainement le fait des tempos qui sont relativement lents, et de l’agressivité qui est ici quasi absente. De la lourdeur, de la puissance, de la folie, on en trouve à foison, mais l’agressivité est assez rare sur ce disque. La musique de SUP n’agit pas avec la rapidité d’une balle de fusil, mais avec la sombre lenteur d’un virus implacable. "(i]Room Seven", le morceau, est à ce titre totalement emblématique de cette efficacité sourde et ténébreuse, qui caractérise la musique de SUP. En effet, une fois passés les deux morceaux d’entame ("Deliverance" et "Bangs In My Head"), les titres sont plus axés sur la répétition ("The Fall Is Too Long", "My Heart On My Tongue") ou sur la mélodie ("Snakes Eyes"). S’il est encore bien loin de donner dans la pop music, SUP s’est considérablement affranchi de son background Death métal. L’originalité est tellement au rendez vous que l’on est bien en peine de trouver une quelconque paternité à ce disque. Avec un peu d’effort on peut éventuellement percevoir une inspiration commune avec le "Nothingface" de Voivod, mais je préfère tout simplement considérer cet album comme un objet unique.
Pour faire simple, "Room Seven" est le coup de génie d’un groupe exigeant et novateur. Une plongée dans un univers riche et prenant, mais qui pour autant reste accessible. L’alliance réussie de la classe et de la prise de risque. Chapeau bas messieurs !