Si vous avez plus de 40 ans, Le nom de Morsüre doit certainement évoquer quelque chose pour vous. Dans le pire des cas, ce sera le vague souvenir d’une pochette vomitive aux tons verdâtres. Dans le meilleur (mais fort improbable) des cas, ce sera certainement le souvenir d’une baffe monumentale aux saveurs mêlées d’incompréhension et d’incrédulité. Seulement 2 ans après la sortie du premier album de Metallica, Kill ‘em All, un groupe d’Argenteuil sort son seul et unique disque au nom de circonstance, Acceleration Process.
Ce qui aurait pu être un épiphénomène sans lendemain (qui se souvient encore de "Der Kaiser" ?), a marqué durablement la scène métal de l’époque. La raison est certainement à chercher dans le style musical proposé par Morsüre, et dans le sens de la communication du groupe. En effet, le marketing qui a entouré la sortie de cet album insistait lourdement sur la rapidité d’exécution et la violence musicale du groupe. Et il est vrai que cela tricote sévère au niveau des musiciens. Avec près de 25 années de recul, difficile d’imaginer l’émotion qu’a provoquée ce disque, tant on a entendu depuis bien plus rapide, bien plus brouillon, bien plus violent.
Dès lors, il est possible d’avoir un regard quasi sociologique sur cet album, et de le disséquer en tenant compte de l’environnement de l’époque, ou bien ne s’attacher qu’à apprécier la musique en elle-même. Il y a fort à parier que, si on se limite à cette dernière option, le jugement va être court et sévère : nul, désagréable et mal produit. Mais si nous le replaçons dans son époque, nous serons alors forcés de louer le courage de ces musiciens qui ont fait reculer les frontières alors existantes, de la vélocité, de l’agression musicale. Les dix titres qui composent ce Acceleration Process ne font en effet pas dans la dentelle.
Le disque est un condensé de fureur et d’agressivité où les guitares mordantes et saturées rivalisent de rapidité avec un chant braillé, éructé, qui semble jaillir des naseaux de Didier Le Serrec. Tout cela soutenu par le son étouffé d’une batterie électronique qui assène un train d’enfer, et par une basse qui, lorsqu’elle surnage de l’ensemble, participe pleinement à la boucherie ambiante en multipliant les soli aigus. La singularité du résultat, dû en grande partie au son si particulier de la batterie, au côté acéré et corrosif des guitares, et surtout à la rapidité d’exécution de l’ensemble, peut invariablement être assimilée à une orageuse cacophonie ou à une déflagration de haine salvatrice.
Si à l’époque le coté outrancier et jusqu’auboutiste de Morsüre agissait comme un puissant aimant ou un redoutable repoussoir (ce qui faisait une grande partie du charme et de l’attrait du groupe), il faut bien reconnaître que, de nos jours, les standards de la provocation et de la violence ont été repoussés bien au-delà de ce qui a, désormais, bien du mal à apparaître comme étant ultime, troublant et dérangeant. En effet, la grosse surprise, suite à la réécoute d’Acceleration Process, provient du fait qu’au regard de nos standards actuels de violence musicale, ce disque est somme toutes assez bien construit et pas si bordélique qu’il ne pouvait paraître à l’époque. Gageons que l’écoute du "Black Metal" de Venom, pourtant épouvantail de bon nombre de musiciens lors de sa sortie, produise le même effet.
Certains morceaux ont très bien passé l’épreuve du temps et restent assez redoutables. Ainsi les déclarations de guerre que sont "M.A.D", "Morsüre" et ses hurlements finaux, "XX World", "Oderint Dum Metuant" et "Neither Pity Nor Remorse", remplissent encore bien leur office. Les paroles sont (parfois) bien loin de l’imagerie bourrine et belliqueuse que l’on a collé à Morsüre ('I like bombs, and fire guns, but I prefer, the deterrents' <-> 'J’aime les bombes et les armes à feu, mais je préfère la dissuasion', dans "M.A.D."). Le groupe se permettant même d’adapter un texte de Baudelaire, "L’irrémédiable".
Au final un album vraiment très singulier dont nous avons du mal à cerner s’il est le fruit d’amateurs cinglés et opportunistes ou de visionnaires passionnés. Quoi qu’il en soit, son statut d’album culte est largement mérité, et on comprend pourquoi celui-ci fait l’objet à l’étranger (notamment en Amérique du Nord) d’une vénération qui ne se dément pas. Acceleration Process a d’ailleurs fait l’objet, en 2007, d’une réédition de la part de deux labels américains (Hells Headbangers Records et NunSlaughter) et est toujours disponible à la commande. Ces rééditions ont été agrémentées de la démo quatre titres sortie initialement en 1984, titres que l’on retrouve sur leur album. Pour autant, cette reconnaissance posthume ne changea pas la destinée du groupe qui ne rencontra pas (peu) de succès en France et se séparera peu de temps après la sortie de cet unique témoignage de leur joyeuse et primaire démence.