Pantera semble avoir épuisé toutes ces cartouches en cette fin de millénaire. Dépassés par le succès, embourbés dans des conflits souvent idiots, les membres du groupe sont au bord du break, comme en attestent les side-projects qui commencent à se multiplier, notamment du côté d’un Phil Anselmo de plus en plus excessif et victime d’une incapacité chronique à faire la moindre compromission : blessé au dos par des années de prestations scéniques déchaînées, il refuse de se faire opérer pour ne pas devoir interrompre sa carrière et n’en sombre que davantage dans l’alcool et la drogue. Toutefois, loin de desservir sa musique, son comportement et son charisme de mégalomaniaque déjanté propulse une dernière fois Pantera au firmament de la galaxie metal.
L’auditeur assidu aura constaté qu’au fil des albums, le ton s’est nettement durci, et que la légèreté fun d’un "Cowboys From Hell" est depuis longtemps oubliée... En ce sens, "Reinventing the Steel" sonne comme un aboutissement, le terme d’une descente aux enfers qui fut pour Anselmo plus que métaphorique, puisque victime d’une overdose quelques années auparavant, il ne réchappa à la mort que de justesse. Le growl de l’album précédent atteint ici une ampleur phénoménale, et qu’il s’agisse de son timbre ou de ses textes, il demeure sans pareil dans le metal.
La noirceur est aussi de mise chez Dimebag, qui offre pour la dernière fois un festival de riffs tout bonnement impensable, rendus encore plus pesants par une production très spéciale, ciment poisseux qui donne à cet album son identité. Le son est singulier, énorme, surpuissant. Les soli, criards et rock’n roll, se font moins présents, moins systématiques, et Dime verse à plusieurs moments dans un chaos dissonant, faisant hurler sa six-cordes comme jamais. Pantera n’est plus un 4x4 bariolé mais un tank sous acide. Du côté de la paire Rex/Vinnie, c’est comme d’habitude d’une solidité remarquable.
Fortement décrié à sa sortie,"Reinventing the Steel" est pourtant le testament rêvé pour Pantera, un groupe qui est depuis entré dans la légende pour ne plus jamais en sortir. Noir, dément, à la limite de l’abstraction parfois (notamment au niveau des textes, bien plus riches qu’il n’y paraît), il est la conclusion logique d’une évolution artistique et humaine entamée vingt ans auparavant.