Voilà un disque totalement déjanté, totalement marginal, totalement inédit, et totalement jouissif. Quatre musiciens grecs vont repousser les limites du délire jusqu'à un point plus jamais franchi par la suite. Imaginez... En 1971, alors que l'album-concept est encore embryonnaire et que l'on parle seulement de pompeux opéra-rocks, voilà que Aphrodite's Child, jusqu'alors connu pour quelques variétés gentillettes comme "Rains & Tears" ou "It's five o'clock", invente un genre avant les anglo-saxons. Et pas des moindres : un concept-album sur l'Apocalypse de St. Jean. C'est que le groupe abrite en tant que pianiste-compositeur le multi-instrumentiste Vangelis Papathanassiou, plus tard auteur des B.O. de "Bladerunner" et "1492 Christophe Colomb". Mais aussi un certain Demis Roussos qui n'a pas encore posé son génial jeu de basse.
Et quel est le résultat ? Un double-album géant et mythique. Des morceaux allant de 19 minutes à 23 secondes, des changements de genre à chaque piste et un incroyable brassage d'influences. Du rock psyché dans "the four horsemen", du jazz (et un mortel duo de saxos) sur "Altamont", un solo de percussions époustouflant sur "The wedding of the lamb", un récital de piano à deux accords sur "loud, loud, loud", un exercice vocal de l'actrice Irene Papas sur "8", des sons de synthés qui partent dans tous les sens et des voix sorties de nulle part. Il faudra d'ailleurs de longues investigations pour savoir ce que signifient les diatribes qui ponctuent certains morceaux, quels sont les sons bizarres que l'on entend dans tel ou tel passage. Un seul point conducteur : le talent avec une batterie incroyable, une énorme basse et une guitare à se damner (sur "the battle of the locust" et "do it", Silver Koulouris devient un véritable Jimi Hendrix hellénique); dernier mais pas des moindres : le son, éthéré, brûlant, méditerranéen, ou plus exactement, plein d'accents de mer Egée.
Aphrodite's Child mettra plus d'un an à enregistrer "666". Censuré à sa sortie, à cause de la référence religieuse dans certains pays ou à cause de la référence à une substance dans la pochette (le "Shahlep", qui est en fait une inoffensive boisson turque), "666" attendra 1972 pour sortir et des années pour être reconnu à sa juste valeur. On peut espérer que le rock progressif grec ne se limite pas à ce disque mais cet album à lui seul est époustouflant.