Après le remarqué et remarquable Sleeping In Traffic – Part II commis l'an passé, les Suédois de Beardfish reviennent nous titiller les oreilles avec leur cinquième album, sobrement intitulé Destined Solitaire.. Pour ceux qui seraient jusqu'à présent passés à côté de ce groupe, leur pays d'origine devrait donner un sérieux indice quant au style musical délivré dans leur discographie, du rock progressif seventies à l'ancienne. Et ce nouvel album ne va pas déroger à la règle : les sons y sont on ne peut plus vintage, avec une basse mixée très en avant et des claviers qui n'imaginent même pas qu'un jour le numérique puisse détrôner leurs accords analogiques.
Le décor étant planté, place maintenant à l'écoute des 77 minutes de ce Destined Solitaire. Autant prévenir les âmes sensibles, préparez-vous au choc, ou bien fuyez immédiatement, car les 9 compositions vont dans un premier temps vous mettre les oreilles cul par-dessus tête, tant les idées se bousculent, se superposent, s'éloignent pour mieux se retrouver. Il faudra très certainement à l'auditeur patient plusieurs écoutes attentives avant de trouver le fil conducteur de chaque composition.
Car si Beardfish évolue bien dans un univers sonore que l'on pourra apparenter à leurs compatriotes des Flower Kings, le groupe y ajoute une énorme dose de folie et d'humour, amenant des harmonies et des contrepoints qui feraient frémir n'importe quel musicologue, mais qui, lorsqu'ils sont bien maîtrisés et c'est ici le cas, procurent une véritable jouissance auditive à celui qui parvient à les décrypter.
Les deux premières plages démarrent sur les chapeaux de roue, et compter les thèmes et les différents styles abordés relève de la gageure, Rikard Sjöblom parvenant même à placer quelques mesures de growl en plein milieu de Destined Solitaire. Until You Comply, incluant une sous-plage Entropy – en chimie, l'entropie qualifie l'ampleur d'un désordre, tout est dit – va ensuite dérouler une bonne quinzaine de minutes un peu plus sages, dans lesquelles nous relèverons des similitudes avec la musique de The Tangent, mais aussi des sonorités de clavier floydiennes, période Echoes, puis genesiennes, période 70's.
Mais le titre qui domine cet album de toute sa classe est le bien-nommé Coup de Grâce, dont le sous-titre bourré d'humour nous renvoie un énorme clin d'œil, après celui adressé à nos voisins belges (hymne à la Chimay !) dans l'album précédent. Ce morceau à tiroir, entièrement instrumental, révèle une construction diabolique et une interprétation superbe qui nous amènerait presque à regretter le peu de présence de l'accordéon dans notre musique de prédilection. Et que dire de la batterie qui évolue sur le thème principal en décalant son temps fort sur le 2ème temps de la mesure … à 3 temps, tandis que l'accordéon imperturbable reste sur une dynamique plus académique : effet garanti en tout cas. Quant aux autres titres, un tantinet moins complexes, ils amènent également leur lot de bonheur et de surprises, comme quelques notes de castagnettes et une ambiance andalouse (At Home, Watching Movies), ou encore de la musique … de cirque.
Vous l'aurez compris, cet album ne s'apprivoise pas à la première écoute. Mais celui qui prendra le temps de l'écoute attentive, et qui acceptera de se laisser malmener, voire même déstabiliser durant quelques temps finira par trouver la clé de cet univers empli de richesse sonore, de celle qui flatte les neurones … et qui fait le plus grand bien.