Comme on pouvait le lire dans le célèbre magazine Rolling Stone de l'époque, "le monde est plein d'extrémistes musicaux, mais peu d'entre eux marient aussi bien les extrêmes que Pantera". Un constat qui frappe en plein visage à l'écoute de ce "The Great Southern Trendkill", album charnière dans la carrière du groupe.
Le disque se lance sur un hurlement insensé de Phil, le premier d'une longue suite de vocalises animales, enregistrées au Nothing Studio de Trent Reznor, loin des trois autres musiciens. Cette division d'une unité jadis à l'épreuve des balles aurait pu désagréger Pantera. Loin de là. Il est même absolument remarquable d'entendre à chaque instant à quel point cette unité a été travaillée, non seulement pour ce qui est de l'entente entre les musiciens, mais aussi en ce qui concerne la préservation du style Pantera. Et le groupe ne s'en contente pas. Fidèle à sa démarche des débuts, érigée entre-temps en véritable philosophie, il surprend, innove et désarçonne.
Perpétuellement immergé dans un contraste puissant entre mélodies noires ('10's') et folie ('The Great Southern Trendkill'), l'album embarque l'auditeur sur un rafiot dont on ne sait jamais à quel moment il risque de chavirer. Rex et Vinnie bâtissent cette pulsation caractéristique (quelle caisse claire !) qui tente de l'équilibrer et de le maintenir à flots tant bien que mal, mais au centre des préoccupations, deux perturbateurs, Dimebag d'un côté, présent en permanence, doublant voire triplant ses parties de guitare, superposant les couches sonores, allant de riffs moites ('Drag The Waters') en solis poignants ('Floods'), et Anselmo de l'autre, sombre, oppressant, intimiste, qui s'en prend dans un accès de rage à peu près à tout le monde, des médias ('War Nerve') aux poseurs du nu-metal ('The Underground in America'). Cette direction prend tout son sens avec le dyptique 'Suicide Note' qui ne tient pas une place anodine au cœur de l'album. La première partie, triste et doucereuse comme un dernier repas, anesthésie les sens pour mieux ouvrir une voie royale à la seconde, qui vous terrasse par sa brutalité infinie, éblouissante et effrayante à la fois.
L'autre élément considérablement mis en avant sur le disque est la fameuse qualité hypnotique de la musique de Pantera, cette forme de psychédélisme Metal que l'on relevait déjà dans des morceaux comme 'Medicine Man', 'Walk' ou encore 'Shedding Skin'. Elle prend ici des proportions incroyables. On est même aux frontières du metal progressif sur 'Floods', et à celles de l'abstraction sur 'Sandblasted Skin'. Dimebag prend tout son temps et laisse les atmosphères se développer, comme s'il n'avait aucun contrôle et qu'elles jaillissaient de lui sans contraintes. Cette patience se retrouve aussi sur les deux parties de "Suicide Note", qui montrent un souci d'écriture évident.
Venu du Sud, le tueur de modes a rempli son contrat. Ignorant jusqu'à son propre passé et inconscient de son propre avenir, perdu dans une immédiateté éternelle, Pantera s'enfonce un peu plus loin dans l'essence du metal, s'en abreuvant jusqu'à l'ivresse. Considéré par certains comme le meilleur album de Pantera, "The Great Southern Trendkill" est une expérience sonore unique que l'on se doit de vivre au moins une fois dans sa vie.