Les groupes sud-américains ne comptent pas parmi les plus présents sur la scène progressive internationale malgré une qualité parfois incontestable – qu’il nous suffise d’évoquer ici Anima Mundi (Cuba), La Desooorden (Chili) ou bien Tempus Fugit (Brésil). Aussi la découverte d’un groupe en provenance de ces contrées est-elle toujours une petite expérience, due au moins autant à sa rareté qu’aux promesses de dépaysement qu’elle porte en elle. Le rock progressif est un genre avant tout anglo-saxon, et ses déclinaisons sud-américaines peuvent facilement – à tort peut-être – évoquer de chaudes et rythmées ambiances latines. Avec In Sudden Walks, le groupe chilien Aisles propose son second album, dans un style intermédiaire entre rock progressif symphonique et néo-prog. Les influences sont traditionnelles : Genesis, Yes, Pink Floyd, Marillion… Bref, rien de bien neuf sous le soleil de Santiago.
C’est donc fort logiquement que quatre des six morceaux composant cet album approchent ou dépassent les 10 minutes, réservant de larges plages aux digressions instrumentales dont le genre a toujours été friand. Modernité oblige, le propos se fait parfois plus musclé avec quelques riffs bien balancés porteurs d’accélérations trépidantes (sixième minute de The Maiden, le refrain de Revolution of Light), mais la couleur dominante reste rock plus que métal, symphonique plus que technique. Pour autant, nos sept musiciens ne cèdent en rien à la facilité et n’hésitent jamais à laisser libre cours à leur inspiration dans de nombreux soli de très bonne tenue, quand ce ne sont tout simplement pas les mélodies et arrangements qui requièrent toute leur concentration. Car avec deux claviéristes et deux guitaristes, Aisles peut se permettre de composer une musique complexe, riche en sonorités diverses, attentive aux détails et désireuse de construire en profondeur les diverses ambiances et émotions qu’elle véhicule, ce dont la production, claire et équilibrée, rend parfaitement compte.
In Sudden Walks s’ouvre et se referme sur deux morceaux dont la structure et la progression climatique contribuent à les différencier des autres titres de l’album. Au cours des premières minutes de Mariachi, les interventions instrumentales sur base rythmique latine sont entrecoupées de dialogues en espagnol entre un homme et une femme, avant qu’une ambiance club purement jazzy (cuivres et soli de guitare en tête) ne prenne la relève, jouant sur les ralentissements et les silences. Suite à un ultime passage en dialogues, le morceau évolue de manière plus traditionnelle vers une progression harmonique en mode mineur, lente et mélancolique. Quant à la longue pièce Hawaii, les musiciens nous font voyager à travers des ambiances hispaniques (l’introduction), atmosphériques (longues plages floydiennes traversées de tentations oldfieldiennes) et cabarets, composant une structure très éclatée qui, si elle ne perd pas pour autant sa cohésion, s’étend sur quelques longues minutes de trop.
Les quatre titres restants rentrent de plein pied dans un rock progressif plus classique : néo-progressif musclé pour Revolution Of Light, sublimé par une belle passe d’armes entre guitare et clavier, tandis que Sebastiàn Vergara présente un timbre de voix clair et puissant dans les aigus. La dernière minute du morceau, très aérienne, évoque le Marillion de Marbles, et fait la part belle à la basse de Felipe Gonzales. Courte ballade au piano, parée d’arrangements électro-symphoniques, Smile of Tears ne présente pas le même intérêt, si ce n’est au niveau des vocaux.
Summer Fall et The Maiden sont deux pièces plus conséquentes, qui prennent le temps de varier les climats, d’introduire de micro-cassures au sein des ruptures propres à la structure même des morceaux. L’identité jazz déjà signalée pour Mariachi se faufile avec subtilité sous les arrangements amples et apaisés de Summer Fall, dont les six premières minutes s’éprouvent comme un écrin richement agencé pour la voix mélodieuse du chanteur. The Maiden, dès l’introduction, renvoie à un rock prog plus symphonique à la Genesis (période post-Gabriel), mais se colore rapidement d’une teinte latine avec cette rythmique à la guitare sèche que nous retrouverons sous diverses formes (électrique ou acoustique) au cours du morceau. Les mélodies, toujours convaincantes, constituent une fois encore l’essentiel de ce titre, toutefois secoué d’accélérations solistes et d’accentuations rythmiques presque métalliques.
In Sudden Walks est au final un album tout à fait recommandable pour quiconque souhaite découvrir un cocktail très convaincant de rock progressif 70’s et de néo-prog teinté d’ambiances latines. Peut-être pourrions-nous regretter une tendance inflationniste tout au long de l’album à étirer sur un mode atmosphérique des morceaux qui n’en demandaient pas tant. L’écoute n’en reste pas moins agréable, mais le risque de décrochage, réel, ne pousse pas à relancer le disque sitôt celui-ci terminé. Dommage, car Aisles n’est pas loin pourtant de rivaliser avec les plus grands.