Nonobstant les qualités réelles de Fates Warning qui trône toujours avec Dream Theater sur l'autel du metal progressif, on a tout de même l'impression que depuis une petite dizaine d'années c'est bien en dehors du giron maternelle que ses membres s'épanouissent le plus. Si Jim Matheos peut compter sur son OSI pour assouvir sa soif d'expérimentation et de la liberté, le chanteur Ray Alder, quant à lui, ne cesse d'impressionner au sein de Redemption dont il n'est pourtant pas le cerveau, ce rôle incombant en fait au guitariste Nick van Dyk.
"Snowfall On The Judgment Day" est la quatrième pierre à cet édifice et confirme le virage plus heavy que son prédécesseur, The Origins Of Ruins" arborait. Ce recueil de dix titres déroule une trame dense et massive. Le monstrueux "Peel", en ouverture, l'illustre bien et synthétise la signature des Américains : maillage serré, mélodies superbes, guitares incisives, claviers virtuoses sans pour autant dégouliner sur le reste des instruments, refrains qui s'accrochent à la mémoire et surtout lignes de chant émotionnelles qui vous donnent des frissons. Orgie technique, ce morceau du feu de dieu terrasse tout sur son passage en un peu plus de six minutes par sa puissance de frappe.
Ce qui suit atteint un même degré d'excellence, oscillant entre progressions furieuses ("Leviatan Rising" irriguées par des parties de six-cordes ébouriffantes, "Unformed" et son intro à la basse assez Iron Maiden dans l'esprit, "Fistful Of Sand" ancré dans un substrat rythmique implacable), respirations plus sombres ("Walls" ou "What Will You Say") et traversées épiques, à l'image du titanesque "Black And White World" écrit à l'encre noire du désespoir. On tient d'ailleurs là un des traits de caractère les plus nets de Redemption, cette faculté à fusionner déflagrations techniques et concentré de mélancolie dont le pinceau est notamment le chant habité et profond de Ray Alder lequel, est pour beaucoup dans le charme de cette formation. Ses performances émaillant "Keep Breathing" et plus encore le terminal "Life In One Day", longue pulsation atmosphérique, atteignent une pureté en tout point admirable.
Drapé dans une production limpide, "Snowfall On Judgment Day" dévoile donc un metal progressif qui a du coeur. D'une longueur relativement courtes par rapport au genre, une seule d'entre-elles dépassant ainsi la barre des dix minutes, ces dix pistes ne se perdent jamais en circonvolutions inutiles et suivent une colonne vertébrale précise qui ne sacrifient jamais l'efficacité sur l'autel de la complexité à tout prix.
Les inconditionnels de Dream Theater seront bien entendu intéressés par le morceau "Another Day Dies" puisqu'il est porté par la voie si caractéristique de leur James LaBrie préféré. Ce n'est pourtant pas le meilleur du lot. Sans doute parce que la tessiture empreinte de fébrilité du chanteur de Fates Warning sied mieux à la plastique dessinée par Van Dyk.
Digeste et mélodique, "Snowfall On Judgment Day" devrait assoir encore davantage Redemption parmi les plus sérieux prétendants au peloton de tête du prog. Il s'agit peut-être même de son oeuvre la plus aboutie, la plus équilibrée également. On savait depuis ses débuts, qu'il fallait compter sur ce groupe ; on en a aujourd'hui la plus évidentes des confirmations.