De bruit et de fureur. C'est le titre d'un film de Jean-Claude Brisseau (oeuvre sévère avec Bruno Cremer, pour ceux que cela intéresse). Cela pourrait être aussi le sous-titre de cette première déclaration de Gokan, que précédait toutefois une démo éponyme il y a trois ans. "Modes de pensée" est un concentré de fureur, de violence épidermique. Avec beaucoup de maîtrise les Français parviennent déjà à libérer une tension palpable qui court tout du long de ces douze salves dont on sort exsangue et ce, en dépit des rares éclairs salvateurs qui viennent par moment marquer une pause dans cette décharge d'adrénaline, lesquels prennent le plus souvent la forme d'une voix claire, comme sur "Douce victoire" notamment.
Lorsqu'on introduit cette rondelle, on ne s'attend pas à grand chose de plus qu'à une attaque en règle de death/metalcore sale et méchant. Mais ces mecs se foutent des étiquettes comme de leur premier glaviot ; ils font la musique qu'ils ont dans leurs tripes, c'est tout. Qu'importe en définitive dans quelle case on veut l'enfermer car le groupe a des idées à revendre, qu'il distribue avec largesse au détour de chacun des morceaux composant le menu de ce "Modes de pensée" aux allures de brûlot, de diatribe taillée à vif. Le break lancinant qui déchire en deux "Un Immense pouvoir", le riff grésillant et pollué franchement black metal achevant "Animosité directe", le visage technoïde (?) affiché par le remix final" ou "Délétère", tentative surprenante mais réussie, de marier metal et rap (avec en invité le groupe Akalmy) suffisent par exemple à comprendre que l'on tient là un collectif dont le potentiel est ici à peine défloré.
Inutile dans ce cas-là de poursuivre plus avant l'inventaire car tous les titres mériteraient d'être cités. La richesse du chant, tour à tour vindicatif ou plus posé, n'a d'égal que celle de paroles, vomies en français, connectées à la réalité, à l'ordinaire, qui redonnent sa vraie valeur de rébellion à un genre, le rock en général, qui oublie trop souvent qu'il doit (aussi) être un cri de révolte. Ajoutez à cela une assise instrumentale qu'aucune faiblesse particulière ne vient jamais entacher (L'impressionnant "L'illusion") et une capacité à poisser des riffs d'une couche épaisse de désespoir ("Pas de défis") et vous prendrez conscience de l'impact digne d'un uppercut que cet album explosif dégage, véritable matière brute qui transpire l'urgence.
Ces jeunes gens en colère ont de l'énergie et de la rage, qu'ils associent à une écriture qui a du relief et à une prise de son très professionnelle garantie sans OGM, réalisée il est vrai au studio Drudenhaus (Anoxeria Nervosa). De fait, on ne voit pas ce qui pourrait les empêcher de monter encore une puissance dans les années à venir. Une bonne découverte qui démontre, une fois encore, la vitalité de la scène hexagonale, extrême ou pas. Un concentré de metal urbain en quelque sorte...