Une fois n’est pas coutume, commençons cette chronique par un léger détour lexical : le slivovitz est un spiritueux slave fort répandu dans les Balkans, distillé à partir de quetsches. En somme, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une gnole locale dont on devine le fort potentiel abrasif. Mais avant de tirer des conclusions hâtives de ce petit examen linguistique, Slivovitz, le groupe, nous vient plus classiquement d’Italie (Naples), et s’exprime au sein d’un style généralement peu compatible avec l’ivresse revendiquée par son patronyme, le jazz-rock.
Néanmoins ce second album, Hubris, s’ouvre sur une pièce revendiquant clairement l’héritage d’un des plus grands fondus de l’histoire du jazz, John Zorn, et de l’aventure Masada. Suite à une introduction très moyenne-orientale, le saxophoniste ténor et alto Santangelo calque, sors d’un break free-jazz concis mais dévastateur, son jeu et sa couleur sonore (obtention de notes suraigües) sur ceux du maître new-yorkais, prolongeant pareille connexion tout au long des cinq minutes du titre. Cette influence se repère dans quelques autres morceaux, moins pour le son que pour une approche percussive de l’instrument, qui gagne même le bassiste et le guitariste dans le titre, funk, abrupt et dissonant, agrémenté de dérives harmoniques au vibraphone, Mangiare.
Mais ces interventions ne sont pas représentatives de la musique jouée par le groupe, beaucoup plus sage et classique que ne le laisse présager ce premier titre. Formé d’excellents instrumentistes, Slivovitz maîtrise son propos, que diverses influences moyennes-orientales (Tilde, une vraie réussite) et centre-européennes (Dammi un Besh O, sorte de jazz-rock balkanique illuminé par la voix de Ludovica Manzo et enflammé sur la fin par l’harmonica de Di Perri) viennent agrémenter avec succès. Ce sont d’ailleurs ces morceaux, explorant le vaste terrain des musiques du monde (Caldo Bagno, mix de rythmiques tribales africaines, de guitares hawaïennes, de soli purement rock et d’apaisements soft-jazz), qui emportent le mieux l’adhésion, plutôt que les incursions sans surprise dans le funk James Brownien (Sono Tranquillo Eppure Spesso Strillo), et les clins d’œil à Frank Zappa qui, aussi réussis soient-ils, n’en restent pas moins d’un classicisme décevant.
Pour autant, ce relatif conformisme n’empêche pas d’apprécier l’album. La couleur globalement jazz d’Hubris est aussi gage d’une grande qualité, aussi bien rythmique (présence fréquente de percussions en sus de l’excellent duo basse-batterie constitué par Angarano et Costanzo) que mélodique, Giannini (guitare, très présent en arpège et dans un solo ultra-mélodique sur le titre Ne Carne), Santangelo (saxo) et Villari (violon) apportant richesse et limpidité thématiques et solistes qui, dans le cas du violoniste, évoqueront immanquablement Jean-Luc Ponty. Errore di Parallasse, jazz-rock mélancolique, apporte un bon exemple des talents de Villari, musicien aussi technique que sensible. Et les interventions de Derek Di Perri à l’harmonica, instrument traditionnellement associé au blues, confèrent à certains morceaux (conclusion de Sig. M Rapito Dal Vento) une chaude sensualité, plutôt inhabituelle dans le jazz.
Slivovitz gagnerait peut-être, suite à ce second album qui explore des contrées d’une grande variété, à redéfinir son identité musicale. Car à l’écoute d’Hubris, qui réserve de nombreux très bons moments, l’auditeur pourra regretter que les idées les plus originales et novatrices n’aient pas été complètement développées. Slivovitz cherche manifestement à briser de l’intérieur la forme jazz-rock, en se tournant vers des influences délibérément exotiques pour l’auditeur ouest-européen. Louable intention, qu’il s’agirait désormais de mener à son terme…