“Musique hermétique”, c’est par cette définition aussi sibylline qu’inquiétante que le grand manitou de Music Waves a présenté le dernier album de Geoff Leigh & Yumi Hara Cawkwell. Et il est vrai que la première écoute de l’univers de ces deux artistes provoque plus d’interrogations que de plaisirs primaires et immédiats.
La plus prégnante de ces interrogations est la suivante : la musique proposée sur « Upstream » est-elle le fruit d’improvisations plus ou moins bien contrôlées ou bien est-elle née d’un travail poussée sur la structure des morceaux ? Il est bien difficile d’avoir des certitudes sur la question. Dans un premier temps, il apparait que le niveau technique et la culture musicale de nos protagonistes plaident en faveur de la seconde hypothèse. Mais le fait que l’album ait été enregistré en seulement deux jours laisse penser que l’apparente spontanéité dont regorge ce disque a beaucoup à voir avec de l’improvisation libre.
Geoff Leigh (Flute, Saxophone, Percussions, Cithare…) est dans la musique depuis bientôt 40 ans, au travers de collaborations avec divers combos de Free Jazz ou de musique moderne. Il a notamment croisé le chemin de Mike Oldfield et de du bassiste Colin Edwin (Porcupine Tree). Quant à Yumi Hara Cawkwell (Claviers et voix), est elle bardée de diplômes et distinctions ayant attrait à la musique et plus spécifiquement à l’improvisation vocale et au piano.
De fait, les neuf pièces proposées ici naviguent toutes dans un Free Jazz assez sobre en termes de diversité d’instrumentation mais très complexe si l’on se réfère à la structure musicale. Mais on note également une proximité très forte avec l’Ethno-Jazz, l’Improvisation libre, le Jazz fusion, le duo semblant prendre un malin plaisir à dérouter l’auditeur et à titiller ses sens. On passe ainsi très rapidement de mélodies popisantes à des parties d’improvisations pures. La plupart du temps nos deux protagonistes réussissent à conserver une cohérence d’ensemble tout en nous trainant (le terme me semble approprié tant le plongeon dans leur univers implique souvent de se faire un peu violence) entre digressions musicales atypiques et parties traditionnelles.
Mais la structure musicale n’est pas le seul domaine dans lequel les frontières sont ici allègrement bousculées. Les ambiances sont également très changeantes et l'on peut passer de parties de chant, de piano ou de saxophone très colériques à des périodes où la recherche de la sérénité semble être de mise. Ainsi, alors que certains titres nous plongent dans une certaine violence, d’autres sont assez proches d’ambiances et de sonorités que l’on peut trouver sur des B.O. de film de type Le Grand Bleu d’Eric Serra. La couleur de la musique n’échappe pas à la règle et l'on saute allègrement d’influences japonaises (notamment au niveau du chant), à des influences plus Ethniques (Tibet, Afrique) ou Européennes.
Si ce type de voyage est très intéressant il est également très exigeant et à ce titre ne peut être recommandé qu’aux auditeurs ayant déjà une bonne culture Jazz et une ouverture d’esprit à toute épreuve. Ceux-là prendront beaucoup de plaisir à suivre ces aventuriers musicaux qui semblent s’affranchir de toute barrière. Les autres auront certainement beaucoup de mal à supporter les cris dissonants qui émaillent « Upstream » ou « Dolphin Chase », probablement les morceaux les moins académiques de ce disque...