On pourra toujours reprocher à Marillion sa démarche commerciale impliquant le fan à investir dans leurs disques sans savoir si le cru sera bon. Des fois, le coup est gagnant ("Marbles") et d'autres fois le millésime peut s’avérer bouchonné (".com"). Ce procédé a néanmoins permis au groupe de proposer des disques sans faire appel à la générosité des afficionados comme "Somewhere Else" et dernièrement cet album intitulé "Less Is More". Un album pas tout à fait innovant pour eux puisque le groupe avait déjà expérimenté la formule avec "Unplugged At The Walls", un double disque acoustique uniquement disponible via leur site, galette, soit-dit en passant, hautement recommandable puisqu’il n’y a que 2 titres en commun avec celui qui nous intéresse ici.
A contrario de la démarche commerciale, le sentier artistique du groupe a été balisé d’innovations, expérimentant les genres, développant des approches déstabilisantes, tournoyant autour de concepts fabuleux. Cependant, jamais le courant acoustique n’avait été à ce point utilisé à si grande échelle. Ce que Marillion se permet ici, après presque 30 ans de carrière, est tout simplement osé. La cassure apportée dans l’élan en cours depuis 10 ans risque de surprendre ceux qui suivent le groupe depuis cette période. Mais pour les amoureux de l’ŒUVRE, elle n’est que logique. Marillion nous ouvre une vision soyeuse de leur carrière et donne une nouvelle vie aux compositions abordées.
Steve Hogarth démontre (y en avait-il vraiment besoin ?) qu’il a une voix tout simplement magnifique. C’est, une fois de plus, lui qui sublime le travail monumental réalisé par les musiciens talentueux que sont Steve R, Pete T (maintenant vous savez, …si, si…regardez en bas de la chronique !!), Ian et Mark. Ces artistes ont tout simplement apporté une vision différente aux morceaux passés à la moulinette du tout-pas-électrique. 11 titres issus des 7 derniers albums ("Somewhere Else" exclu) et 1 inédit. Le choix est équilibré et aucun des albums de ces dix dernières années n’est plus favorisé qu’un autre.
Que dire de cette sélection ? Difficile par exemple de reconnaître Interior Lulu, le morceau ne se dévoilant qu’au bout d’une dizaine de secondes. Out of this world transmet ici toute l’émotion qu’il apportait déjà sur disque et sur scène, le piano se substituant aux nappes de claviers pour nous placer, s’il le fallait encore, une grosse boule au ventre. Hard as love subit le même traitement avec, pour le final, les voix lovées de Steve H, Pete et Mark nous susurrant à l'oreille : «Just lie back and smile… ».
Wrapped Up In Time et Quartz dévoilent ici une force émotionnelle rarement atteinte sur un disque, le dialogue basse/guitare portant ici haut la flamme des cordes meurtries pourfendeuses de bonheur feutré, habituellement étouffé par l’électricité des studios. Memory Of The Water se découvre savamment épuré par les seuls Steve, un duo guitare/voix qui prouve la sensibilité des 2 hommes en osmose totale. Et, ne fallait-il pas oser pour placer le sautillant Cannibal Surf Babe, décalé et tant décrié sur disque (moi le premier) qui prend enfin une place dans la discographie monstrueuse du groupe. Sage décision et beau travail de repentance. Certes, tout n’est pas à l’avenant, If My Heart Were A Ball se voulant très jazz avec un Steve se forçant à porter jusqu’à la limite sa voix si christalline et un It’s Not Your Fault sans intérêt (si ce n’est celui de provoquer l’achat immédiat pour le fan pur et dur) dans le contexte de cet album.
Marillion a su avec ce disque ne pas tomber dans l’opportunité salace de placer une galette d’attente. C'est l’apanage d’un grand groupe qui ose s’attaquer à ses compositions (et pas forcément les meilleures jusque là) pour leur donner une nouvelle vie en utilisant des instruments plus conventionnels, en plus des traditionnels guitare/basse/piano, tels que harmonica, xylophone, percussions, hammond…etc. La force créatrice, à l’instar de l’accessibilité et de la générosité, du groupe n’est plus à prouver. Et si vous voulez en savoir plus sur la genèse du disque, je vous invite à consulter les épisodes visuels successifs que Marillion a eu la bonne idée de mettre à disposition des internautes. Tapez « clip marillion rtv » sur tout bon moteur de recherche et laissez-vous guider.
Marillion délivre donc un bon album, certes pas au niveau des monumentaux "Brave" ou "Marbles", mais poignant dans une démarche de recherche d’accoutumance à LEUR musique. Il y a dorénavant, dans cette trace gravée à vie sur une rondelle de 12 centimètres de diamètre, un point de passage obligé lorsque, debout devant notre collection de CDs, nous cherchons vainement à choisir un disque à glisser dans notre lecteur. Sur ce, je retourne poser le casque sur mes oreilles afin de profiter de la zénitude que « Less Is More » m’apporte.