Les groupes irlandais ne sont pas comme les autres. Ils possèdent cette sévérité du trait, ce son minéral qui les distinguent du tout venant. Mourning Beloveth, Altar Of Plagues ou Primordial comptent parmi ces hérauts porteurs d'une souffrance très personnelle.
For Ruin lui aussi a vu la nuit sur cette terre battue par les vents et l'histoire. Pourtant, il n'affiche pas les mêmes stigmates géographiques. Le black/death pour le moins édulcoré qu'il forge pourrait tout aussi bien provenir de Suède ou des Etats-Unis que l'on ne verrait aucune différence. C'est là son seul défaut. Car pour le reste on tient là un groupe, qui en est désormais bien un depuis que son leader John Murphy a collé autour de sa personne d'autres musiciens, maîtrisant son style avec sureté et assurance et sachant faire parler la poudre. Sa seconde offrande longue durée, Last Light, que précédait un apéro en guise d'avant-goût (Enlightened), le prouve avec son habile dosage entre black (un peu) - notamment pour ce chant qui racle biberonné au Destop -, death mélodique (beaucoup) et heavy pour ces parties de guitares très harmoniques. De fait, il y a là ce refus, cette volonté de ne pas demeurer inféodé à un seul genre qui est tout à fait bienvenu.
Après un prologue instrumental et acoustique ("Enlightened"), les Irlandais alignent un rempart massif, rapide le plus souvent ("Care Of The Dead"), groovy toujours ("Decline" sur lequel plane l'ombre de In Flames, décidément une référence incontournable aujourd'hui). Si parfois For Ruin esquisse des ambiances plus posées, comme il sait (très bien) le faire lors des premières mesures de "Suffering", c'est la plupart du temps pour repartir ensuite de plus bel sur une cadence enlevée. On aime quand il décide d'ériger un mur plombé infranchissable (le thrashy "Solace", déchiré par des breaks sanglants) ou un tempo bien pesant ("Recoil", malgré tout zébré de ces riffs heavy ultra mélodique) voire lancinant (le terminal "Elysium"). Se fendre d'un instrumental fiévreux ("Crawl", un des sommets de l'album) ou briser une construction trop linéaire ("Deluge" ) lui réussissent aussi plutôt bien.
En définitive, pas vraiment du pur black metal pour les puristes qui ne trouveront ici pas la moindre goutte du fluide noir qui coulait jadis dans le sang des artisans de cet art impie, mais cela n'enlève rien au plaisir immédiat que distille avec largesse ce disque dont seule la courte durée - à peine plus d'une trentaine de minutes - viendra tempérer mon enthousiasme. Last Light est une bonne pioche pour qui aime le death mélodique rehaussé de quelques touches black.