L’aventure Extreme se termine en 1995 avec le contesté Waiting For The Punchline, mais le guitariste virtuose Nuno Bettencourt a encore beaucoup de choses à dire. C’est même une des raisons de la rupture du groupe, le Portugais sentait depuis quelques mois l’envie très forte de s’exprimer en solo. C’est en 1997 que son premier album sort sous le simple nom de Nuno avec l’éclectique album Schizophonic. Cet album sera le premier d’une belle série d’albums très honorablement chantés par Nuno malgré l’instabilité des formations l’entourant. En 1998, Nuno décide de monter un groupe avec son frère bassiste Donovan mais cette sortie restera très confidentielle sauf au Japon et il faut toute l’énergie du fan pour dénicher ce bijou uniquement via l’import.
Le premier Mourning Widows est un album dense (avec 75 minutes de musique) et qui reprend là où Schizophonic s’était arrêté. Moins baroque que son prédécesseur tout en proposant une musique riche entre pop dynamique et hard-funk, Mourning Widows dévoile un Nuno Bettencourt en constante maturation au niveau du chant ainsi qu'à la composition.
Le morceau inaugural est un bijou de rock qui démontre tout le talent de Nuno pour les riffs funky et rythmiquement impressionnants. Les deux musiciens sont très en place et il est difficile d'imaginer que le résultat est uniquement l’œuvre d’un duo tant la densité musicale est présente. Les effets de voix comme les sons de guitare utilisés viennent participer à cette impression de complexité. Même si ce n’est pas un album de guitare, les interventions solistes sont brillantes et tournent parfois à la jam-session ("Love Is A Cigarette").
On pense parfois au rock californien que nous qualifierons d’universitaire, dans le style de groupes comme Blink 182 ou Green Day, avec cette fraîcheur des mélodies ("Paint The Town Red") et cette fougue post-punk. Mourning Widows sait nous combler avec des ponts instrumentaux très groovy qui nous rappellent la belle époque d’Extreme.
Une des caractéristiques de cet album est la présence de morceaux rock aux refrains d’une émotion tranchante que l’on pourrait presque qualifier de power ballade. Par exemple, "I Wanna Be Your Friend" débute sur une partie de batterie en boucle et ne préfigure pas de la métamorphose qui va s’opérer au fil du morceau. Mais c’est sûrement "Over & Out" qui remporte la palme de l’émotion avec les montées vocales de Nuno. C’est la chanson qui démontre les plus gros progrès du portugais, qui voulait tellement avoir la fêlure de Kurt Cobain dans la voix. Dans un style plus évident, la ballade très typée Schizophonic "True Love In The Galaxy", avec son solo torturé, vient tempérer les ardeurs rythmiques de l’excellent "Too Late".
Ce qui rend ce disque si précieux, c’est la production que nous ne retrouverons sur aucun autre album de Nuno Bettencourt et qui lui confère son entière authenticité. Le son de batterie est très particulier (parfois synthétique), avec une caisse claire ultra-présente, des crashes très cristallines et un charleston très ouvert. Les sons de guitare sont aussi tous très variés et chaque chanson est presque associée à une ambiance différente de guitare. La particularité au niveau de la batterie vient sans doute du fait que c’est Nuno qui se charge ici de cet instrument. Pour la petite histoire, Mike Mangini qui était prévu pour tenir ce rôle, a dû se désister pour pouvoir tourner avec Steve Vai. Le temps pressant, Nuno n’a pas eu d’autre solution que de jouer lui-même la batterie. Et voulant éviter que le disque soit catalogué comme disque solo, il a donné le crédit de la batterie à un certain Billy Vegas.
L’album se termine par deux morceaux plus pop et très entraînants qui ne devaient être que des démos malgré leur qualité évidente. Notamment "And The Winner Is…" qui par son titre commence une phrase dont on imagine très aisément la fin.
Mourning Widows est un disque gorgé de toute la générosité et les influences de Nuno Bettencourt. Il lui assure une crédibilité au chant et vient casser l’image associée à Extreme. Un deuxième Mourning Widows (sous forme d’un vrai trio cette fois) sortira deux ans après avec une radicalité funky groovy qui viendra trancher avec le côté plus polyvalent de ce premier bijou, devenu définitivement un classique de ma discothèque.