A l’aube des années 90, les Red Hot Chili Peppers ont déjà à leur actif 4 albums et surtout une carrière très riche qui les a vus marier, le Funk, le Punk et le Rock. Durant cette première période de leur carrière, ils ont également flirté avec les excès en tous genres (ce qui a coûté la vie à leur premier guitariste, Hillel Slovak), et ont obtenu non seulement une réussite artistique indéniable mais aussi un début de succès commercial.
Et c’est en signant chez Warner que la chance va leur sourire. Tout d’abord sous la forme d’un gros barbu au look de Hippie : Rick Rubin (dont on peut d’ailleurs entendre la voix en intro de "Suck My Kiss"). Ce dernier a déjà contribué au succès d’artistes rap (Run DMC, Beastie Boys) et d’artistes très Heavy (Slayer, Danzig). Son parcours est donc à la croisée des chemins des Red Hot Chili Peppers. S’il est difficile d’affirmer avec certitude que son apport fut déterminant dans la transformation du groupe, il y a fort à parier qu’il fut l’un des éléments qui leur a permis de canaliser son énergie et de se concentrer sur des aspects purement artistiques. De plus, il a doté cet album d’un son assez époustouflant de puissance et de clarté.
Du fait d’une période de créativité artistique assez rare, le groupe créé et enregistre en moins de 2 mois, pas moins de 25 titres, dont seulement 17 finiront sur le très dense "Blood Sugar Sex Magik" (Parmi les titres issus de ces cessions qui ont été écartés, nous citerons l’instrumental "Fela's Cock", "Sikamikanico" utilisé ensuite sur la BO de "Wayne's World", une reprise du "Search & Destroy" des Stooges, ainsi que "Soul To Squeeze" qui sortira par la suite en single, sur la BO de "Coneheads" et sur le Best of "Greatest Hits").
Outre un léger gommage de l’orientation très métal du précédent album, le principal changement vient du fait que le groupe délaisse un peu le principe de la fusion (mélange de plusieurs genres dans un même titre) pour préférer la coexistence de titres explorant chacun des univers musicaux différents. On passe ainsi des très funky "Apache Rose Peacock", "Funky Monks", "Blood Sugar Sex Magik" ou "If You Have To Ask", à des titres bien plus Rock à l’instar de "Suck My Kiss" et de "My Lovely Man", des balades très réussies comme "Under The Bridge" et "I Could Have Lied", ou bien à du quasi Rap avec "Give It Away". Et le moins que l’on puisse dire, c’est que cette hétérogénéité a bon goût.
En effet, l’album ne connaît pas de temps morts et regorge d’idées et de trouvailles, servies et mises en forme par des artistes d’exceptions. "Blood Sugar Sex Magik", c’est la fougue et la puissance de "Mother’s Milk", avec cette fois-ci une bonne dose de maturité et surtout une fluidité sans égale. La basse, se fait moins omniprésente et agressive, les guitares moins démonstratives, et bien loin de nuire à l’efficacité du résultat, cette (relative) sobriété rend les morceaux plus percutants et immédiats. Un équilibre quasi parfait entre la folie incontrôlée de leur début et une musique plus formatée à destination d'un plus large public.
Cet album est de ce fait, le point de rupture artistique des Red Hot Chili Peppers, leur sommet créatif et commercial. Le moment où ils basculent d’un style impétueux et extravagant à un style plus maîtrisé et plus grand public. Attention, si cet état de grâce ne durera qu’un album, cela ne veut pas pour autant dire que le reste de la discographie du groupe est à rejeter. De fait, si le groupe est un peu moins percutant sur le fond (mais pas sur la forme du fait de ce son énorme), il gagne en charme en pondant des titres plus envoûtants, plus enivrants ("Under The Bridge", "Sir Psycho Sexy", "Breaking The Girl"). La rythmique qui était jusqu’alors l’épine dorsale et le moteur des Chilis se place désormais plus en retrait et se met au service de la mélodie. Flea, tout époustouflant qu’il est encore, est à ce titre moins prépondérant sur cet album.
Sans surprise, l’album, qui se termine sous forme de clin d’œil par une reprise customisée façon « piment dans le fondement » du "They’re Red Hot" de Robert Johnson, rencontrera un succès énorme, tant commercial (notamment avec les singles à succès, "Breaking The Girl", "Under The Bridge", "Give It Away"), qu’artistique (il apparaît régulièrement dans les classements des meilleurs albums des magasines musicaux). Une réussite totale à écouter sans tarder.