Si nul n’est prophète dans son pays, Groove Corporation se permet de rectifier le tire avec la sortie de son premier album "Record Prophets". En cinq ans d’existence, ce groupe originaire de l’Ontario s’est déjà forgé une robuste notoriété dans le circuit musical canadien.
Comme son nom l’indique sans la moindre ambiguïté, cette formation composée de huit musiciens prend un malin plaisir à s’épanouir dans une atmosphère digne d’un célèbre "big band" à la manière des Blues Brothers, ce duo au grand cœur mais complètement barjot qui déferla sur les écrans des salles obscures en 1980. Groove Corporation a la faculté de capter immédiatement ce swing hautement contagieux grâce à une section cuivre rutilante regroupant la bagatelle de deux saxophonistes et un trompettiste. Pour assurer le tuilage nécessaire à cette ambiance, la section rythmique assume pleinement son rôle en apportant une "Touch’s Groove" particulièrement ronronnante. A ces éléments déjà bien consistants en matière de rythm and blues à forte tendance soul, il convient d’ajouter une guitare nerveuse au son clair et un piano manié par des mains expertes qui se permet d’apporter quelques variations jazzy afin de compléter cet ensemble festif et divinement entraînant. Il est impératif de mentionner le grain de voie du chanteur, un brin crooner, pour parfaire le tableau.
Bien que "Record Prophets" se fonde en majorité sur des reprises issues de plusieurs mouvances plus ou moins anciennes, l’esprit de corps dégagé par Groove Corporation leur confère un réel intérêt et surtout une faculté à se laisser écouter assez surprenante. Entre les mains d’instrumentistes aussi talentueux, "I Can’t Get Next To You" des Temptations subit un remodelage des plus modernes. Autre titre riche en énergie calorifique, "Get Up, Get Down, Get Funky, Get Loose" composé à l’origine par Teddy Pendergrass déverse une sévère dose de funk avec beaucoup d’entrain et de ferveur. Le "Jungle Boogie" de Kool And The Gang balance également sévère car très en phase avec la création originale.
Le blues est aussi à l’honneur, notamment par le biais de versions remaniées à la sauce Groove Corporation de morceaux composés par Robert Cray ("Nothing But A Woman") d’une part et du bluesman, moins connu mais également très intéressant, Colin James (" Surely I Love You"). Mais la plus étonnante des reprises proposées est celle d’un titre de Kiss, très justement rebaptisé pour l’occasion "Detroit Swing City" sur laquelle les cuivres vrombissent et les notes de piano bondissantes remplacent les guitares originellement encrées vers le hard rock. Une belle réussite que cette métamorphose d’un standard signé Bob Ezrin et Paul Stanley qui prend une toute autre dimension dans cet univers quand même nettement plus dansant et accessible.
Mais les quatre plages composées par Groove Corporation s’insèrent sans anicroche dans ce florilège de reprises parfaitement maîtrisé en mettant bien en avant le tempérament de feu de ce groupe décidément intraitable lorsqu’il s’agit de faire bouger son auditoire. Difficile donc de rester de marbre face à cette déferlante de groove et de swing remettant au goût du jour un style qui a connu ses heures de gloires du début des années soixante jusqu’au milieu des années soixante dix. Quoi qu'il en soit, "Record Prophets" devrait en toute logique harponné les aficionados des conséquents catalogues proposés par des labels aussi mythiques que Stax ou Motown voir même les compilations Mirwood Soul Stories, véritables trésors du rythm and blues originel et dont la signification ainsi que les propos, au fil du temps, ont pris une toute autre direction.