Comment ai-je pu jusqu’ici passer à côté d’un groupe comme Big Big Train, qui fort de cinq albums et officiant dans un rock (néo-)progressif classique quoique fort ambitieux, représente exactement ce que je peux attendre de ce style ? Je n’ai pas d’autre explication à donner que celle de ma regrettable inculture, et en ai tiré immédiatement les conclusions qui s’imposaient : The Underfall Yard, le sixième et dernier album en date du trio anglais, ne me quitte plus depuis près de trois semaines.
Dans le prog’, la première rencontre est parfois difficile ; ce n’est pas le cas ici. Peut-être parce que le groupe répond parfaitement aux attentes de l’amateur de rock progressif symphonique 70’s ? peut-être aussi parce que le choix d’un court mais superbe instrumental comme titre d’ouverture se révèle être une intuition géniale ? Toujours est-il que l’auditeur se trouve d’emblée transporté dans un monde composé de mélodies envoûtantes, d’arrangements chauds et soignés, de soli aériens et sensibles se fondant parfaitement dans cet environnement si luxuriant, sans parler de la récurrence thématique portée par une polyphonie vocale que soulignent les guitares soudainement plus saturées et un solo de flûte au lyrisme exacerbé. Bref, il s’agit là d’un premier morceau qui, s’il n’a rien de bien original, a le mérite de présenter sur un format très ramassé la couleur dominante de l’album… et de révéler, déjà, l’influence prépondérante de Genesis.
Car voilà bien le principal reproche qui puisse être fait à The Underfall Yard : malgré un propos plus moderne, donc clairement électrifié par moments, malgré une identité plus jazz-rock (et une basse très Yessienne) dans Master James of St. George, malgré enfin une grande diversité instrumentale pour les arrangements orchestraux, l’ombre de Genesis survole tout l’album, notamment au niveau des guitares en son clair. Mais à vrai dire, seul le puriste en mal d’expérimentations pourra le regretter et laisser cette influence gommer les aspects plus personnels et singuliers du groupe ; pour les autres, même en reconnaissant que Big Big Train ne brille pas par son originalité, ce voyage en terres progressives gardera tout son charme.
Les deux épiques de l’album justifient à eux seuls son écoute. Le final orchestral de Victorian Brickwork, qui prend la suite d’un solo de guitare technique et inspiré, étonne par son ampleur et rend hommage à la qualité du mixage, assuré par Rob Audrey (IQ, Transatlantic), tout en réussissant parfaitement à mêler l’ambiance acoustique de la musique symphonique au lyrisme électrique d’un rock progressif traditionnel, basse en avant comme il se doit. Les amateurs de prog italien, et plus spécifiquement d’Hostsonaten, devraient apprécier !
Quant au morceau éponyme, étiré sur près de 23 minutes, il résume parfaitement l’ensemble des qualités et travers du groupe. Ces derniers sont là encore plutôt rares, et sans doute est-ce le chant qui retiendra du coup notre attention : rien à dire sur l’exécution, propre, rigoureuse, agréable, souvent sublimée par de très belles polyphonies, mais le timbre de David Longdon est trop impersonnel, trop stéréotypé pour vraiment marquer les esprits. Ceci dit, le groupe ayant la bonne idée de ne jamais relâcher son effort de composition sur les parties chantées (à la différence du morceau Last Train, commun et gentillet), cette petite réserve n’est que de pure forme. Car pour le reste, The Underfall Yard est une joie de tous les instants, qui m’évoque les sensations ressenties lors des premières écoutes de Blomljud de Moon Safari. Structure rigoureuse, toute en finesse, sage mais jamais ennuyeuse, soli de guitares et de claviers omniprésents, grande richesse mélodique, y compris dans les arrangements, et section rythmique remarquable… que demander de plus ? Peut-être une conclusion plus affirmée, un grand final qui permettrait d’éviter un fade out peu convaincant…
Avec cet album, Big Big Train s’affirme comme un groupe qui compte sur la scène progressive, sans pour autant faire assaut d’originalité. Il est certain que c’est d’ailleurs ce qui manque à The Underfall Yard pour être vraiment inoubliable et marquer les esprits au-delà des amateurs d’un prog symphonique mélodique et ultra léché. C’est en tout cas cette absence de prise de risques qui m’empêche de considérer cet album comme une pièce majeure du grand édifice « progressif »…