Brother Ape, trio suédois qui n’en est pas à son coup d’essai avec désormais quatre albums à son actif, sort en cette fin d’année 2009 Turbulence le bien nommé. Je n’avais pas été vraiment très enthousiaste au sujet de III, paru en 2008, n’accrochant que d’assez loin à cette pop progressive teintée de jazz-rock bien souvent un peu fade et lénifiante. Mais dès la première écoute de ce nouvel album, il semble clair que le groupe a évolué vers des terres plus agressives, plus techniques, sans pour autant renoncer aux mélodies et aux riches arrangements dont il était déjà porteur.
Cette agressivité est toute relative, Brother Ape restant globalement dans le giron du rock progressif ; mais Stefan Damicolas n’hésite plus désormais à balancer de bons petits riffs, toute saturation dehors, qui cassent avec bonheur la tranquille mélancolie induite par un chant par trop monotone dans des aigus éthérés. Footprints, Turbulence, et surtout Who Will Be Next témoignent de cette évolution, ce dernier morceau étant construit autour d’un riff entrainant qui rappellera certainement Porcupine Tree et A.C.T.. Damicolas gère parfaitement sa double fonction de guitariste rythmique et de guitariste solo, démontrant un savoir-faire technique et mélodiste qui jusqu’alors ne s’exprimait qu’à la marge des compositions.
Le trio nous réserve également quelques pépites harmoniques qui enrichissent son jeu et évoquent son attachement au jazz-rock : le solo de Welcome Future, l’introduction et le solo intermédiaire de Turbulence (même si les changements de tonalité dans ce titre ne sont pas d’une finesse renversante…), et plus généralement, le jeu de basse de Gunnar Maxén, toujours très présent et qui apporte au groupe la puissance d’un groove plus souvent associé au jazz qu’au rock prog’. Max Bergman n’est pas en reste, son attachement aux percussions et aux errances rythmiques sur cymbales complexifie un peu la donne et insuffle tranquillement un léger parfum exotique à l’ensemble de l’album. Il sera bien sûr facile de regretter le confinement du clavier au seul rôle d’accompagnateur, mais Maxén s’acquitte de cette tâche avec brio et saisit avec subtilité les occasions d’apparaître au premier plan : No Return est une synthèse parfaite de l’intelligence de groupe des trois musiciens, qui fait la part belle aux développements instrumentaux et se drape pudiquement d’une mélancolie lyrique dont Damicolas, au chant comme à la guitare solo, est le principal passeur.
Néanmoins, tout n’est pas parfait dans ce Turbulence qui voit le groupe prendre une direction plus métal et plus progressive. Certains morceaux auraient pu se retrouver sur III, et à ce titre ne convainquent pas vraiment. No More est une sorte de balade atmosphérique qui a pour seul mérite sa briéveté, et Autostrada, malgré sa rythmique latino, se perd dans une succession sans intérêt de nappes planantes d’où ne se détache laborieusement qu’une seule mélodie simpliste et répétitive. Enfin, Lifeprints, pourtant beaucoup plus rentre-dedans, peine à réitérer la réussite d’une fusion entre rock apaisé et métal acéré, cette double identité paraissant cette fois-ci n’être qu’artifice.
Bref, inutile de gloser plus longuement sur cet album, qui révèle le nouveau visage de Brother Ape et s’avère à la fois plus travaillé, plus complexe (la structure et la longueur des morceaux parlent d’elles-mêmes) et plus efficace. Ce n’est pas encore la grande réussite que l’on pourrait espérer pour un groupe d’une telle longévité, mais cette fois-ci, écrire ma chronique est resté de bout en bout un vrai plaisir. Il me semble que c’est plutôt bon signe !