Si je vous parle de métal symphonique à chanteuse, peut-être ferez-vous la moue, dédaignant un probable énième clone d’Epica ou Nightwish ; si je vous parle de jazz ou de swing, sans doute imaginerez-vous un vague truc mi-cérébral mi-dansant à déguster entre amis à l’heure de l’apéro ; si je vous parle de musique expérimentale, vous irez dans le meilleur des cas vous repasser un bon petit Mr. Bungle en vous disant qu’on ne fait pas mieux de toute façon ; et si je vous parle enfin d’un album qui regroupe l’ensemble des genres musicaux précités, vous me souhaiterez bonne chance pour la suite et refermerez avec quelque tristesse cette chronique qui ne commençait pourtant pas si mal. Aussi vais-je plutôt vous parler de musique, sans souci des étiquettes et des chapelles, et vous présenter le dernier né d’un sextet de Suédois sévèrement déjantés, Diablo Swing Orchestra, j’ai nommé Sing Along Songs for the Damned & Delirious.
Cet album est l’antidote le plus approprié au long et froid hiver qui s’annonce ; la mode des cirques ambulants s’étant peu à peu tarie, et le Grand Guignol parisien, galerie de monstres et autres incongruités biologiques, n’ayant plus cours en notre XXIè siècle humaniste, DSO nous convie à son propre spectacle, en hôte malsain, inquiétant et à la fois franchement drolatique. Car voilà le secret du groupe : naviguer dans les eaux troubles et parsemées d’invisibles écueils de l’auto-dérision. Contrairement à d’autres formations écumant les océans déchainés de l’avant-garde metal, DSO n’use qu’assez peu du cross-over, préférant ciseler de courtes pièces à l’identité bien affirmée, récusant autant la linéarité que le collage surréaliste.
Annlouice Loegdlund, chanteuse lyrique au timbre d’une pureté effrayante, fait des merveilles et transforme cet album en un opéra onirique, cauchemardesque et sensuel, divisé en dix titres qui sont autant de scènes puissamment théâtralisées. Cette voix, associée à celle de Daniel Håkansson, sorte de crooner déchu à jamais marqué par le black-métal, est gage d’une cohérence certaine, mais elle n’en est pas la seule origine : le sextet est avant toute chose engagé sur la voie d’une fusion permanente entre métal et jazz. Aussi chaque riff, quand bien même soutiendrait-il un morceau clairement rentre-dedans, bénéficie d’un dynamisme rythmique, d’un swing propre au jazz, que vient souvent renforcer un ensemble de cuivres aussi technique que facétieux.
Sing Along Songs for the Damned & Delirious s’ouvre d’ailleurs sur un morceau jazzy en diable, au swing imparable, sorte de croisement entre Caravan Palace et le Devin Townsend d’Infinity, donc aussi bien entre Django Reinhardt et le Patton de Mr. Bungle. Memoirs of a Roadkill est du même acabit, bien que plus assagi, ce qui donne l’occasion à Daniel Håkansson de prouver lui aussi ses capacités de chanteur dans des passages plus acoustiques. La conclusion de ce morceau introduit un zeste de mélancolie, identifiable également sur d’autres titres par l’intermédiaire d’un violoncelle superbement lyrique, qui nous fait goûter plus sûrement encore le reste des festivités. A titre d’exemples, le western est dépoussiéré sur Ricerca Dell'anima, tandis que le folklore est-européen s’invite sur Siberian Love Affairs le temps d’une courte valse avant d’être reconduit sur Vodka Inferno et sa rythmique dansante à souhait. A Rancid Romance, sur lequel se croisent cuivres, cordes, piano et accordéon, entraîne vers le même type d’atmosphère, avant que Lucy Fears the Morning Star ne convie à la fois Muse sur ses refrains et des percussions latinos au cours d’une conclusion totalement déjantée.
Je n’irai pas plus loin dans la chronique de cet album, que vous devinez désormais excellent. D’autres innombrables surprises vous attendent, dont il serait franchement dommage de vous priver. A ce titre, Sing Along Songs for the Damned & Delirious constitue le cadeau de Noël idéal, plaisir, bonne humeur et originalité garantis à vie !