Depuis ses origines dans le Londres du début des années 90, il y a chez Archive un souci de façonner sa musique au gré de ses nombreuses collaborations. Dès « Londinium », puis « Take My Head », Archive est devenu l’un des fers de lance du mouvement trip-hop, aux côtés de Massive Attack ou Portishead, tout en s’accordant les services de différentes recrues dont le rappeur Rosko John. Avec « You All Look the Same to Me », c’est Craig Walker ancien chanteur punk qui passe l’épreuve du casting et qui insuffle un nouveau dynamisme en convertissant Archive de la doctrine électronique à des principes plus électriques. Quatre ans plus tard, sort « Light », et c’est un certain David Penney qui prend le relais. Le son Archive se fait plus progressif abandonnant provisoirement les motifs électro qui ont fait leur renommée.
« Controlling Crowds » marque finalement, avec celui de Rosko John, le grand retour de l’emprise du trip-hop et du rap dans l’écriture d’Archive, la formation souhaitant en effet s’éloigner des distorsions et de l’empreinte de Walker. « On se sent à l’aise maintenant, sans guitare » indiquait à ce propos Danny Griffiths. Album concept scindé en trois parties distinctes - sur le fond - il est issu d’une session d’écriture particulièrement fertile, et pour laquelle est également naît « Controlling Crowds Part IV » sorti à quelques mois d’intervalle.
« Controlling Crowds » est donc la trace visible d’un pas en arrière, vers ce qui a fait le succès du duo Keeler-Griffiths, noyau dur de la formation britannique. Mouvements synthétiques, rythmes répétitifs presque hypnotiques, samples de voix, la formation avait prévenu qu’elle s’orienterait sensiblement « vers un style science-fiction ». Les premiers morceaux représentant la partie la plus sombre du triptyque, reflètent plus clairement cet aspect de leur revirement. Un cheminement en forme d’épingle à cheveux qui met en exergue cette beauté froide, un peu aseptisée que l’on trouvait déjà dans les formes sur des opus tels que « Finding It So Hard ». De même, les thèmes scandés par Rosko John rajoutent un degré de solennité à l’ensemble tout comme les boucles vocales de Pollard Berrier et David Penney
Alors que ces itérations cataleptiques, ces pulsations vocales comme instrumentales forment une impression d’impassibilité, d’autres titres plus prompts à créer l’empathie mettent en évidence un aspect plus expressif, voire touchant, notamment grâce aux mélopées de Maria Q, Penney (« Words on Signs ») ou Berrier (« Chaos »). Comme pour catalyser l’intensité devenue plus dramatique, des pianos, cordes et autres chœurs se superposent, offrant une force esthétique qui ne faiblira jamais durant ces captivantes quatre-vingt minutes.
« Controlling Crowds » est un album imposant – sans parler du format de l’édition limitée – qui prend le temps d’étendre ces ondulations électroniques. « Si tu pars de l'idée du contrôle, il y aura nécessairement beaucoup de choses à dire » se justifiaient à ce titre les Anglais. C’est aussi une œuvre majeure dans la discographie du groupe, cohérente de bout en bout, de la trempe de « You All Look the Same to Me ». Après des années d’errances musicales, Archive revient aux fondamentaux. Un retour judicieux, autant que réussi. Une beauté qui tranche talentueusement avec le l’aspect dérangeant de sa thématique.