Pierrejean Gaucher est un de nos plus brillants guitaristes. Depuis le création du groupe Abus Dangereux (puis Abus tout court) en 1980 dans lequel il tentait, avec succès, de marier le jazz rock et le rock progressif jusqu’à son duo avec Christophe Godin (2G) pour un album de reprises (de Frank Zappa notamment) et de compositions originales, Pierrejean n’a eu de cesse de multiplier les expériences musicales.
On connait l’appétence du français pour la musique de Frank Zappa avec le projet Zappe Zappa qui sévit depuis 1994 mais avec ce tout nouvel album, Melody Makers, c’est vers les standards rock que la Willows du Gaucher pointe sa tête. Aidé en cela de deux musiciens (Cédric Affre à la batterie et Clément Petit au violoncelle électrique), Pierrejean investit les classiques qui nourrissent ses souvenirs et les entrevoit via sa passion de toujours pour le jazz. Le pari est osé mais plutôt original. Peu de musiciens osent construire des passerelles entre des genres qui restent souvent hermétiques les uns aux autres. Les musiques progressives ont toujours cassé les codes et affirmé que cette frontière était imaginaire et confortable pour tout le monde. Melody Makers ne fait peut être pas la démonstration que le rock et le jazz sont frères mais en tout cas on a un disque tout simplement remarquable de classe et de finesse.
Le Pierrejean Gaucher Trio a choisi des morceaux connus de nombreuses personnes provenant de formations comme The Police, David Bowie, Deep Purple, Led Zeppelin ou The Beatles et des titres plus récents de King Crimson ou Radiohead. Un gros travail habituellement nécessaire avec le jazz est ainsi simplifié. En effet, le jazz est coutumier des mélodies légères et discrètes, souvent furtives, demandant une attention toute particulière à l’auditeur pour faire sien un morceau. Dans le cas de Melody Makers, tout le monde ou presque connait les thèmes de « Kashmir » ou de « Smoke On the Water ». Ne reste plus qu'au jazz d'entrer en scène pour nous emmener sur des mesures inhabituelles et des harmonies stimulantes.
Les mélodies sont plus ou moins facilement reconnaissables mais à chaque fois la magie opère. Parmi les réussites, nous citerons « Scatterbrain » issu du Hail To The Thief de Radiohead où le magnifique violoncelle de Clément Petit sonne comme un violon, « Kashmir », ou le « Smoke On The Water » acoustique. On se délecte en écoutant le « Dinosaur » de King Crimson dont le côté déchirant et mélancolique est conservé ou le « Alladin Sane » de David Bowie qui garde sa partie dissonante dans laquelle Pierrejean torture sa guitare.
Melody Makers est un grand album qui plaira aux musiciens autant qu’aux puristes du rock et du jazz. L’interprétation de ces trois fantastiques musiciens est juste et rend grâce aux mélodies initiales mais elle est libertaire de par la philosophie originelle du jazz. Le choix des morceaux m’a personnellement ravi et étant amateur de jazz-rock depuis des années je suis persuadé que le jazz sort grandit d'un tel disque. Avec de tels morceaux repris avec intelligence et talent on n’espère qu’une chose: une suite.