Je me suis souvent interrogé sur la capacité de certains artistes à se transformer, tel un caméléon, de façon à produire une musique différente, selon qu'ils agissent sous la casquette d'un groupe ou d'un autre. Ce dédoublement de personnalité justifie d'ailleurs bien souvent l'existence de différents projets menés par un même musicien. Et énumérer ici, ceux qui éclosent régulièrement dans la seule sphère progressive, prendrait sans doute un peu trop de place.
Transportons-nous cependant de l'autre côté du Rhin, où Arne Schäfer mène depuis maintenant près de 15 années un des groupes reconnu comme l'un des plus talentueux dans sa capacité à ressusciter une musique quasiment hors-d'âge. Aux commandes de Versus X, notre homme a ainsi produit quatre pépites de progressif 70's mélancolique, obtenant un succès, si ce n'est commercial, du moins d'estime fort prononcé au sein de notre sphère de prédilection. Conjointement à son groupe, notre homme mène également une carrière "en solo", qui sous le nom d'Apogee, nous délivre ici son cinquième album, Mystery Remains. Autant vous l'avouer tout de suite, à l'inverse de Versus X, les quatre précédents opus de ce "groupe" n'ont jamais généré un succès à la hauteur suggérée par son nom. Et alors qu'en ouverture de cette chronique nous dissertions sur la capacité à varier son style musical d'un groupe à l'autre, notre ami Arne vient prendre le parfait contre-pied de notre théorie : ce disque d'Apogee en particulier, mais c'est également le cas de ces prédécesseurs, évolue dans le même style que Versus X et nous propose les mêmes ingrédients.
Des plages longues tout d'abord, (certains diront à souhait) aux développements qui n'en finissent plus : les thèmes s'enchaînent les uns aux autres, avec de longues parties instrumentales, souvent consonantes, mais aussi dissonantes à tel point que l'on se demande quelquefois si les différents instruments participent à la même partition. Les claviers sont prépondérants et plantent des ambiances mélancoliques, sombres, empruntant même parfois à notre Francis Décamps national ses fameuses montées chromatiques au demi-ton (Tracing Experience), si souvent utilisées dans Au-Delà du Délire, mais sans parvenir à y insuffler la même tension.
Si Arne Schäfer parvient globalement à rester cohérent sur des titres allant de 9 à 20 minutes, on s'interroge de temps en temps sur la pertinence de certains breaks mélodiques, le summum étant atteint dans Point of Ignition, qui se retrouve à moitié gâché par deux minutes incongrues plantées en plein milieu de la plage. en effet, le groupe nous donne à entendre une sorte de duo vocal de musique country totalement déplacé, peut-être en rapport avec les paroles, mais tombant comme un cheveu sur la soupe et dénaturant totalement un morceau qui n'en avait pas besoin.
Du côté des parties instrumentales, les interventions de guitare viennent régulièrement prendre le relais de claviers assurant les ambiances et mélodies principales, complétées avec bonheur par des instruments à vent (flûte ou hautbois), mais aussi par des parties symphoniques pas toujours de bon aloi. Les deux batteurs (… qui ne sont autres que les deux batteurs successifs de Versus X) complètent le tableau avec sobriété, participant avec justesse à la tonalité d'ensemble. Quant au chant, sa platitude le rend d'un intérêt tout relatif…
Au bilan positif de cet album, nous pourrons mettre deux titres irréprochables (Mystery Remains et The Claws of Insanity), mais également clouer au pilori des parties vocales balancées sans conviction et des longueurs dans les trois autres plages. Ce résultat donne au final une impression très mitigée, plaçant ce nouvel album d'Apogee aux côtés de ses congénères, c'est-à-dire plutôt loin des productions de Versus X… Ce qui continue de m'interpeller et me laisse dubitatif quant à l'intérêt de vouloir développer deux projets si proches l'un de l'autre, le premier (Versus X) faisant définitivement trop d'ombre à son rejeton.