Contrairement à ses deux prédécesseurs, Lita et Stiletto, lesquels l'ont imposée comme une des reines du hard rock des eighties, Dangerous Curves n'a pas croisé autant la route du succès. Pourtant, cette cinquième cuvée peut être tenue pour une des plus réussies de Lita Ford. Alors, pourquoi cet accueil en demi teinte tant du côté des critiques que du public ? Le contexte de l'époque s'avère déterminant pour en comprendre les raisons.
1991. On est alors en pleine explosion de la scène grunge. Nirvana ou Pearl Jam deviennent les mètres-étalon de ce qu'il faut faire, de ce qui cartonne également. A l'instar du punk à la fin des années 70, cette (nouvelle) vague couvre brutalement d'une couche de ringuardise, de désuétude tous les canons de la décennie précédente. Résultat, des palettes entières de très bons albums racés et mélodiques se voient recevoir l'opprobre du public. Citons par exemple le Dehumanizer de Black Sabbath, le Set The World On Fire d'Annihilator ou bien ce Dangerous Curves. Il serait sorti quelques années plus tard, gageons que cet opus aurait très certainement bénéficié d'un accueil plus bienveillant, moins frileux. Car il le mérite...
Moins FM que ses récents aînés, il renoue avec un metal plus musclé, preuve en est le furieux "Larger Than Life" qui, placé en ouverture, semble presque être une déclaration sur les intentions de Lita qui s'y fend d'un solo comme elle en a le secret. Les choeurs calibrés, les refrains à chanter sous la douche le matin font partie de son arsenal mais on sent tout de même un léger durcissement dans le ton employé. "What Do Ya Know About Love" où la Belle chante avec rugosité et puissance en témoigne également.
Bien sûr, "Shot Of Poison" paraît bien mièvre et mou du riff aujourd'hui, "Playin" With Fire", s'en sort quant à lui de justesse. Néanmoins, il y a ce "Black Widow" drapé dans une atmosphère noire que souligne la voix si particulière de la Blonde. Il y a aussi ce "Hellbound Train", sombre, tranchant, moderne et surprenant de la part de la Ford (son intervention à la six-cordes est des plus jouissives). Sans doute l'Everest de Dangerous Curves qui outre est enrichi d'un titre composé, excusez du peu, par Ritchie Backmore et Joe Lynn Turner (ainsi que par le mercenaire du manche, Al Pitrelli), alors que le chanteur faisait encore partie de Deep Purple : l'enjoué "Little Too Early" où l'on reconnait ce sens de l'accroche chère à l'Homme en Noir. Mention particulière également à l'hypnotique "Tambourine Dream" nappé de claviers fantomatiques et à l'instrumental squelettique et désenchanté, "Little Black Spider" qui termine Dangerous Curves sur une note crépusculaire.
On tient là en définitive l'oeuvre la plus sombre de Lita Ford. Un disque bien plus ancré dans son temps que certains ont pu le croire alors.