Flaubert expliquait le besoin des comédiens à exercer leur métier, comme une sorte d’"exutoire par où s’épanche leur déraison, ce besoin d’extravagance que nous avons tous plus ou moins". Ecouter des musiques extrêmes peut s’expliquer de la même façon. Et beaucoup d’entre vous jugeront certainement tout à fait déraisonnable, ou comme une bien étrange lubie, d’écouter "Fed Through The Teeth Machine", dernier et quatrième opus de The Red Chord.
Je ne vous jetterai pas la pierre sachant que les américains de The Red Chord donnent dans un métal extrême plutôt brutal, particulièrement abrasif, du genre à vous liquéfier les bouchons de cérunem. Alors oui, j'en conviens, écouter une telle sensation sonore peut apparaître singulièrement extravagant. Il faut dire que le groupe donne dans un deathcore à forte tendance grindcore comme peut en témoigner, pour partie, la brièveté relative de la plupart des titres de ce "Fed Through The Teeth Machine".
Une grande erreur serait d’appréhender la musique du groupe comme pouvant s’écouter en s'adonnant à une autre activité plus ou moins avouable. Ce qui serait une impardonnable méprise. Le fait de se concentrer sur autre chose que la musique des américains lui fait incontestablement perdre toute sa valeur et peut la faire aisément et seulement passer comme une vaste bouillie sonore sans queue ni tête.
The Red Chord est pourtant une des têtes de file de la mouvance musicale deathcore et il suffit d’écouter ce "Fed Through The Teeth Machine" pour aisément comprendre le pourquoi. Voilà un groupe, devenu quator, dont la musique, sous ces aspects rythmiques bruts de décoffrage, est d’une grande richesse. Il maîtrise habilement son sujet et, en dépit d’un guitariste en moins, il n’a pas perdu de sa verve créatrice. Les titres sont certes alambiqués, mais d'une construction très cohérente, et nous gratifient presque toujours d’une certaine dose de finesse dans un monde de brutes.
On retiendra plus particulièrement certains titres. "Demonizer" nous oppose, parmi d’autres choses et par deux fois, le même break mélodique, court et mélancolique tout en contraste avec la hargne d’une rythmique ravageuse. "Hour Of Rats" nous distille des variations rythmiques et des petites mélodies particulièrement heureuses se promenant dans un déluge de furie. "Embarrassment Legacy", nous gratifie d’une guitare aux humeurs facétieuses. Quant à "Mouthful Of Precious Stones" et "Sleepless Night In The Compound", ils nous font presque regretter que The Red Chord n'allonge pas plus souvent la durée de ses titres tant il apparaît évident que le groupe a beaucoup de bonnes choses à exprimer.
Ecouter "Fed Through The Teeth Machine", ou même un de ses deux prédécesseurs, "Clients" ou "Prey for Eyes", c’est se prendre du deathcore qui n’est pas du tout celui du pauvre. Les américains de The Red Chord ne font pas du deathcore comme certains, parce que c'est devenu la mode du moment. Au contraire, ils le font par goût véritable et animés par un amour certain pour leur art. Et cela s’entend. Les disques du groupe s’écoutent avec un intérêt et un plaisir toujours renouvelés tant le groupe nous gratifie d’une musique vêtue, sur un fond austère et violent, de ses plus beaux apparats. Pour moi, The Red Chord, c’est aussi bon que les meilleurs Napalm Death, dans un genre certes différent, mais pas si éloigné que ça. Le groupe continue à monter en puissance et gageons que leur prochain opus n’en sera, au pire, que tout aussi bon.