“We’re gonna give you Pictures at an exhibition !” Ainsi s’ouvre le premier des live enregistrés par Emerson, Lake and Palmer, lors d’une prestation à Newcastle en 1971. L’album paraît donc juste après Tarkus et avant Trilogy, pendant l'age d’or du trio le plus célèbre du prog 70’s. Qui d’autre pouvait adapter pour clavier-basse-batterie (et chant) les célèbres Tableaux d’une exposition de Modeste Moussorgsky ? Ce cycle de pièces pour piano a déja été orchestré par de nombreux musiciens : 23 versions orchestrales dont la plus connue est celle de Ravel, et des versions jazz, ou pour orgue, cuivres, guitares, fanfare et même accordéon ; parmi les progueux, Tomita et Tangerine Dream iront de leur interprétation.
A ce moment de son existence, le trio ELP fonctionne à merveille, dans une parfaite complémentarité : Keith a complété le Hammond flamboyant qu’il maniait avec virtuosité avec The Nice, par d’autres claviers, dont le synthétiseur Moog qu’il contribuera largement à populariser. Greg, outre ses talents de bassiste et de très bon vocaliste, se mue à l’occasion en guitariste et sait apporter une essentielle contribution aux compositions (en témoigne l’exceptionnel Take a Pebble du premier album). Et Carl, très complice avec Keith, fait preuve dans ses percussions d’un dynamisme toujours très musical.
Cette complicité crève les écouteurs lors de cet exceptionnel concert de Newcastle, enregistré avec des moyens très performants pour l’époque. L’énergie circule à fond entre les trois acolytes, et cette connivence fait grand plaisir à entendre. L’œuvre de Moussorgsky a été réaménagée pour l’occasion, en gardant le principe de la Promenade, un thème récurrent qui marque les pauses entre les morceaux censés décrire les tableaux de l’exposition. Si un certain nombre de tableaux ont été volontairement omis (les Tuileries, Byldo, le Ballet des Poussins, Goldenberg et Schmuyle, le Marché de Limoges et les Catacombes), l’adaptation est pour le reste très astucieusement réalisée, permettant à Keith d’intercaler au synthé quelques délires qui n’appartiennent qu’à lui, et donnant une partition très riche à la basse et à la batterie. Greg Lake a su rajouter des vocaux bien amenés (2è Promenade, Grandes Portes de Kiev) et placer une création originale à l’intérieur du Vieux Château, une pièce acoustique guitare sèche + voix d’une grande sensibilité. Le trio y va également de son rock endiablé (Blues variations, dynamique à souhait) et rajoute un final d’enfer avec Nutrocker, une adaptation de la Marche du Casse-Noisette de Tchaikovski, un classique déjà interprété (entre autres) par B. Bumble and the Stingers en 1962.
Dans chacun de ses albums, ELP a cédé à la tentation de l’adaptation d’un “classique”, de Bach à Copland, Ginastera ou Scott Joplin, Prokofiev ou Holst. Ici, il a développé le concept sur tout l’album, et c’est un réel plaisir d’écouter cette interprétation très adaptée à la complicité et la complémentarité des musiciens. Quand ELP respecte l’esprit trio, la sauce prend, et c’est particulièrement sensible en live ! Et au diable les quelques approximations rythmiques entendues, elles font partie de la fraîcheur du show !