Excentrique, riche, diablement intrigante, la musique de ce jeune combo norvégien est difficile à décrire. Par conséquent, il est assez ardu pour moi de rédiger cette chronique aujourd'hui ; et plus encore de véhiculer par de simples mots ce que ces trublions scandinaves véhiculent dans leur musique ! Les plus impatients d'entre vous peuvent s'épargner la lecture de l'article et se contenter de la note, qui justifiera à elle seule l'achat de cette très belle sortie. Quant aux plus curieux (et aux plus courageux !), qu'ils sautent au paragraphe suivant !
Formé en 2001, Leprous n'a pourtant sorti que deux démos avant cet album ; la faute à une multitude de changements de line-up qui ont évidemment grévé leur aptitude à la composition. Pour autant, l'écoute de Tall Poppy Syndrome ne laisse jamais transparaître la moindre hésitation, et l'on vient rapidement à se dire que ces errances furent bénéfiques, laissant au groupe le temps de peaufiner son passage à l'âge adulte... Du moins en principe... Car adulte, cette musique ne l'est pas tout à fait, et heureusement !
En effet, l'album tout entier met en avant une jeunesse délirante, impatiente et dynamique, une énergie folle émanant de toutes les pistes. Variées, elles n'en forment pas moins un ensemble cohérent. Leprous réussit donc là où beaucoup de groupes choisissant le métissage des genres comme crédo artistique échouent. L'intention est louable, le métal progressif étant dans sa globalité un genre sclérosé par la redite depuis de nombreuses années... Le résultat l'est aussi ! On navigue ainsi de mélodies aériennes ("Fate", "White") à des grooves retentissants (le pont central de "He Will Kill Again"), de riffs sauvages à la limite du black metal (indiscutable influence Emperor sur l'intro de "Not Even A Name") ponctués de growls passagers et toujours à propos... L'apparente cacophonie qui s'installe par moments (le piano démoniaque de "Phantom Pain") ne dure jamais, mais il faut souvent faire preuve de patience et même, dirais-je, de tolérance pour bien saisir l'orientation de chaque piste. Certains y parviendront sans peine, d'autres, peut-être moins habitués au caractère impulsif et imprévisible de cette musique, seront à la peine, mais tous ne pourront qu'applaudir la qualité d'écriture de ces chansons !
La qualité technique de ces jeunes gens leur permettant sans problème de tels délires, il n'est pas étonnant que le tout se laisse facilement digérer. Aidés par une production chaleureuse et organique (notamment la section rythmique, mixée à la perfection), les musiciens laissent libre cours à leur inspiration, pleine de cette folie presque puérile qui fait tant défaut à la plupart des groupes bien établis du milieu... On se remémore d'ailleurs avec plaisir l'excellent album des Québécois de Myxomatosis, sorti lui aussi l'an passé, et qui flirtait avec des extrémités similaires sur le plan de la composition, à tel point que l'on se prend à rêver d'un split réunissant ces deux formations ! Officiant dans des registres assez proches, elles ont toutes deux le mérite non-négligeable de proposer un métal progressif savoureux et original, sans laisser filer leurs identités respectives dans le maelström des poncifs. On note bien quelques influences de-ci, de là (The Mars Volta pour la frénésie et l'envie manifeste, Tool pour le groove sous-jacent et certaines sonorités, Myxomatosis pour le côté un peu dissonant de certaines parties), mais aucune ne vient mettre à mal l'entreprise des Norvégiens. Fondues et confondues, elles apportent beaucoup mais ne retirent rien.
Alors, appétit enfantin ou maturité de grande personne ? Probablement un peu des deux... Difficile de tabler sur la longévité d'une telle musique, et de ses auteurs, mais gageons que cette sortie permettra à Leprous de s'extraire de la multitude de leurs "concurrents", et de gagner ses galons aux côtés des plus grands. C'est tout ce qu'on leur souhaite ! Chaudement recommandé à tous les amateurs de métal progressif qui souhaitent se coller quelque chose de "neuf" entre les oreilles, voilà une écoute qui risque de surprendre, pas forcément dans le bon sens d'ailleurs, mais tout l'intérêt est là.