Admettre un échec est toujours compliqué pour un artiste. Certains ne s'en remettent jamais, d'autres, en revanche, tirent de l'épreuve la motivation nécessaire pour se relever, fiers, et poursuivre leur chemin. Charly Sahona est de ceux-là. Guitariste et tête pensante de Venturia, il sort cette année son premier opus en solo, une réponse directe à l'échec (commercial plus que critique) des deux albums de son groupe. Le dernier en date, Hybrid, résultait d'une année de travail acharné, mais malgré une accessibilité revue à la hausse, n'a jamais réellement décollé. Soucieux de ne pas se laisser gagner par une compréhensible frustration, il récidive par ses propres moyens – mais attention, la recette est très différente !
Bien qu'accompagné de sa fidèle section rythmique (Thomas James à la basse et Diego aux fûts), il propose ici un disque court, direct et accrocheur, en rupture quasi-complète avec le style très progressif de Venturia. Bienvenue au pays du riff fédérateur, du solo systématique et des refrains flirtant avec l'AOR... La démarche a de quoi surprendre, d'autant que Charly assume non seulement les fonctions de guitariste, mais aussi de claviériste et de chanteur ! Et si son passé de claviériste était déjà plus ou moins (re)connu, l'entendre chanter nous dévoile une autre de ses facettes artistiques, et pas des moindres – car il faut le reconnaître, il s'en sort à merveille ! Légèrement saturée, sa voix claire fonctionne parfaitement dans un cadre pareil, notamment grâce aux lignes de chant incroyables dont il a accouché au cours du processus. Celles-ci sont d'une telle qualité qu'elles éclipsent parfois tout le reste, à l'image d'un morceau comme "Relieved", accrocheur en diable et aux mélodies vocales excellentes. Un clip a même été réalisé pour ce tube en puissance : visionnez-le en bas de page !
Après une ouverture de cette trempe, on pourrait s'attendre à un défilé de technique stérile, à un de ces albums de guitar hero façon Petrucci, Loomis, Loureiro et consorts, mais il n'en est rien. La suite est du même tonneau : morceaux courts, aux structures claires et efficaces... Les indispensables soli eux-mêmes ne débordent jamais gratuitement et ne servent finalement que de ponts d'un passage à l'autre. Alors, un disque facile ?
Pas vraiment, car en dépit de cette apparente simplicité, les pistes regorgent de petits détails savoureux. On citera à titre d'exemple le pré-refrain de "It Will Fly Away" et son orgue épique à souhait, ou encore les splendides parties de piano de "Forgotten Past"... Il eût également été légitime de s'attendre à de (trop) nombreuses ressemblances entre ces divagations en solo et les précédentes réalisations de l'auteur au sein de Venturia. Malgré certains moments qui rappellent forcément le groupe en question (l'intro de "River of Lies", ou le son de clavier de "Forgotten Past"), on est là encore agréablement surpris. Naked Thoughts From A Silent Chaos (quel titre explicite !) possède une identité qui lui est propre, et sonne davantage comme une continuation de l'expérimental Hybrid que comme une redite sans intérêt. Les amateurs se souviendront que Charly avait souhaité faire évoluer son style du métal progressif vers une concision trop souvent délaissée par les grands noms du genre (suivez mon regard...), et cet album le montre. A la fois riche et abordable, il présente des compositions affinées, mélodiques et puissantes, agrémentées d'un discret soupçon de prog : le résultat est sans appel, c'est une réussite musicale incontestable. Enfin, Charly a beau avoir composé intégralement cet album, on ne restera toutefois pas insensible à la solidité des musiciens qui l'accompagnent ici, et qui méritent bien cette petite ligne de félicitations.
Annoncée comme un crossover entre Muse et Dream Theater, et bien qu'elle respecte plus ou moins cette description hâtive, la musique proposée a ce je-ne-sais-quoi d'envoûtant qui vous scotchera probablement à votre lecteur d'un bout à l'autre de l'album. Difficile d'élire une piste favorite, ou même de se souvenir avec exactitude du moment où ce délicieux frisson que connaissent bien les mélomanes s'est manifesté. Intègre malgré des apparences trompeuses, et aussi finement écrit que produit, voilà une très belle surprise. Ni métal progressif, ni rock, ni guitar hero, mais un peu de tout cela à la fois, Charly Sahona se libère, et ça lui fait probablement autant de bien qu'à nous ! Une catharsis bienvenue, car un troisième album de Venturia est d'ores et déjà en chantier, et il y a fort à parier que celui-ci bénéficiera en partie de la nouvelle direction prise aujourd'hui. Une direction si totalement assumée, sans pudeur ni superflu, que l'on se prend à espérer de grandes choses...
Pour terminer, la recommandation qui accompagne cette chronique représente deux choses : premièrement, bien sûr, la qualité intrinsèque de la musique qui y est décrite et deuxièmement, la vivacité d'une scène française qui, et nous n'aurons de cesse de le répéter sur Music Waves, est véritablement en pleine forme !