Les quatre Français d’Oto Spooky tiennent avec leur premier album, Oto Spooky, une excellente carte de visite. Car la musique que nous propose notre quatuor de magiciens du son est sans conteste une belle découverte. A condition naturellement d’apprécier les expérimentations en tous genres et de connaître ne serait-ce que l’existence d’un Frank Zappa ou d’un Mr. Bungle.
Car c’est à un authentique album de rock fusion que nous avons affaire ici, compliqué d’une propension presque pathologique à désorienter l’auditeur pourtant mis en confiance par un premier morceau qui pourra évoquer dans les couplets le funk brutalement déstructuré de l’album éponyme de Mr. Bungle, et développant dans les refrains un versant plus mélodique, le rock funky des Red Hot. D’emblée, il est clair que Nicolas Custaud à la basse et Julien Wack aux guitares s’entendent à merveille pour se partager les contretemps et donner naissance à un groove puissant que Jean-François Devanneaux derrière les fûts ne peut s’empêcher de contrarier avec un talent certain.
Dès Flies On Nitro, radical changement d’atmosphère : la partition se partage entre free-jazz et folklore balkanique saupoudré d’un soupçon de techno hypnotique, tandis qu’au chant, Julien Wack nous offre par moments une transe mystique devant beaucoup de son effet aux chœurs qui la portent. La voix est d’ailleurs l’élément central d’Oto Spooky, tour à tour caressante, grave et sensuelle, acide, hargneuse, évanescente et vaporeuse, ou tout simplement claire et posée, sans autre intention que de se marier à l’ensemble musical. Là se trouve sans doute le charme de ce groupe, qui dans tous ses aspects, n’use d’aucune ostentation particulière pour malmener les codes et styles musicaux.
Si la cohérence ne semble pas être le maître mot de cet album, et si du fait même de cette diversité il est difficile de dégager des moments forts d’un tel ensemble hétéroclite, à l’usage, certains titres sortent tout de même du lot. Silent Cats et son orgue sur-vitaminé, brève plongée dans un univers plus agressif et vocalement virtuose qui n’est pas sans rappeler les travaux de John Zorn au sein de Naked City ; Dervish’s Spin, alternativement construit autour des vocaux, des instruments à vent et de percussions latinos brillamment intégrées à cet exercice de style parfaitement mené ; An Eye For An Eye, qui oppose avec un naturel épatant des couplets sombrement mélancoliques à des refrains plus légers tout droit sortis d’un album des Kinks ; Get The Dancin’ On enfin, délire disco un peu court mais dont les refrains évoquent sans nul doute possible le fameux Disco Queen de Pain Of Salvation.
Au final, Oto Spooky propose avec ce premier album un petit objet attachant, qui sans payer de mine réussit néanmoins à construire un univers original, extrêmement divers et toujours accessible. Nos quatre Français ont su occuper avec talent l’espace disponible entre expérimentations radicales et rock fusion traditionnel, l’enrichissant de remarquables détours par le jazz. Que demander de plus, sinon un deuxième album qui vienne confirmer le talent exposé avec une touchante modestie dans cette première production ?