Attention sensation ! Même si le combo parcourt la scène métal depuis 2002 et admet un unique EP au compteur, les Polonais de Proghma-C se dévoilent réellement aux yeux du monde entier avec ce tout premier album qui risque fort de faire parler de lui dans les chaumières métalliques ! En avant-goût de ce qui va suivre, imaginez un savant croisement Tool-Meshuggah-Cynic-Riverside ; voici le menu alléchant de ce « Bar-do Travel ».
L’inaugural « Kana » débute par une intro hypnotique qui monte crescendo pour déboucher sur le fond de commerce des Polonais, à savoir un riff ronflant digne d’un Tool. Le batteur nous inonde alors de contretemps hallucinants tandis que Piotr Gibner nous envoûte avec son chant à la tessiture oscillant entre Maynard James Keenan (Tool) et Mariusz Duda (Riverside)… Cette rythmique dynamique et vrombissante s’élance dans un essor hypnotique totalement jouissif sur lequel se greffent des harmonies mélodiques électro-acoustiques aux effluves jazzy proches d’un Cynic… A n’en pas douter, cette monumentale entrée en matière qui explose dans une apothéose finale accompagnée d’un hurlement HxC risque fort, si ce n’est de révolutionner le monde du métal, d'enthousiasmer les fans des références mentionnées.
Cette entame relativement accessible n’est malheureusement (pour le succès commercial du groupe) et/ou heureusement (pour les mélomanes téméraires non rebutés par le côté obscur du métal) pas le reflet exhaustif de la large palette musicale des Polonais. En effet, si « FO », dans une veine plus Cynic (pour la musique) et Riverside (pour le chant), perpétue la sensation enchanteresse du début et reste donc à la portée de toutes les chastes oreilles, l’autre versant du talent de Proghma-C est plus difficile à ingérer. La passerelle entre ces deux faces est le phénoménal « Spiralling to Another » regroupant en son sein l'ensemble des influences du combo, depuis une introduction toute progressive sur laquelle s’ajoute l’extrême agression arythmique d’un Meshuggah jusqu'aux stridents hurlements HxC chers à Jens Kindman. Sans transition, « Splitted Out » et son petit frère « Slippet Out (Out) » s’enchaînent sans discontinuer, évoquant sans équivoque le thrash ultra-violent de Meshuggah période « Catch 33 » qui devrait décontenancer une partie des amateurs de la première partie de l’opus.
Dans ces conditions, l’accalmie « So Be-Live » tombe à point nommé pour mieux nous remettre de ce déchaînement de haine. Cette parenthèse débutant notamment par des pianos enchanteurs s’envole crescendo dans un tourbillon de sonorités expérimentales pour atteindre une apogée apocalyptique dont les Polonais ont le secret. Ce titre prouve – s’il le fallait encore – le talent hors norme aussi bien des musiciens en présence que du chanteur polymorphe aussi à l’aise dans les parties atmosphériques emplies de feeling que dans l’expression d’une rage exacerbée.
S’ensuit enfin l’instrumental atmosphérique expérimental « I can’t illuminate with you » - qui rappellera ceux, aériens et envoûtants, de Textures - ouvrant sur LA pièce maîtresse « Naan », apothéose sonore proprement hallucinante, véritable synthèse des thèmes empruntés par ailleurs. Après une intro atmosphérique dans laquelle Piotr Gibner se la jouerait presque Björk (on y reviendra), Proghma-C enchaîne sur un riff saccadé progressif et accentue encore avec un refrain envoûtant le côté totalement hypnotique de sa démarche musicale… Se succèdent un enchevêtrement suffocant d’arythmies que n’aurait pas renié le maître suédois Meshuggah puis une partie atmosphérique empreinte de jazz dans une veine très Cynic ! Et comme si cette claque que l’on croyait définitive ne suffisait pas, Proghma-C en remet une couche avec une fabuleuse reprise du non moins fabuleux « Army of Me » de Björk. Cette version métallisée, notamment sur le break et solo final, assoit l’invraisemblable talent schizophrène du caméléon vocal Piotr Gibner qui, pour l’occasion, se rapproche de la sensibilité de la Finlandaise…
Comme tout album progressif qui se respecte, « Bar-do Travel » est un richissime périple musical expérimental qui se révèle au fur et à mesure des écoutes, chaque titre regorgeant de trésors d’inventivité au détour d’innombrables strates polyrythmiques. Il est juste regrettable que la partie extrême du combo vienne probablement lui fermer les portes d’une gloire toute méritée. En effet, une partie du public alléchée par le versant prog métal du combo pourrait être réfractaire à son versant extrême… Ce qui est dommage pour le combo comme pour le public, tant la puissance / violence musicale n’a d’égale que son originalité / sensibilité…
Bref, vous l’aurez compris, « Bar-do Travel » est une découverte magique à conseiller vivement aux auditeurs à la recherche de nouvelles sensations fortes mais n’ayant pas froid aux oreilles lorsqu’il s’agit de les frotter à quelques passages extrêmes !