Cet homme est fou ! Peter Gabriel pourrait se contenter d'être un auteur, compositeur, interprète et showman de génie et vivre sans risque en explorant et en exploitant les filons mis à jour dans les précédents albums. Il aurait pu, une fois encore, s'entourer de musiciens dont le nom force le respect... Eh bien non ! Môssieur Gabriel a décidé de ne pas composer, de ne pas écrire et d'interpréter seul 13 titres empruntés à des artistes qu'il révère.
Si Peter Gabriel a appelé son album Scratch My Back, c'est par allusion à une expression anglaise qui dit quelque chose du genre "gratte moi le dos, je gratterai le tien !". L'idée étant dans un premier temps de reprendre les chansons des autres en espérant qu'ils reprennent à leur tour des titres de Gabriel. Et, à l'heure où j'écris ces mots, une dépêche tombe annonçant que Radiohead devrait bientôt enregistrer "Wallflower", titre sorti en 1982 sur le 4ème album solo de l'Arcange. Wait and see pour la suite, mais j'attends avec une impatiente curiosité les réponses de Bowie, Lou Reed ou Neil Young !
Dire que sur cet album le Gab est seul avec sa voix et son piano serait mentir par omission et il est bien difficile de ne pas mentionner les dizaines de musiciens d'orchestre qui fournissent l'écrin musical dans lequel le maestro a choisi de présenter ses œuvres. Je dois avouer que je ne connaissais pratiquement aucune des versions originales des titres repris ici, et, si par curiosité, je me suis amusé à faire des écoutes comparatives, j'ai du admettre bien vite qu'à part les paroles, il ne subsiste quasiment rien de la production initiale.
Prenons, par exemple, le premier titre : "Heroes", chanté en 1977 par David Bowie sur l'album du même nom (Heroes, pas David Bowie !!), Peter Gabriel reprend les textes mais les pose sur une complainte classique lente plutôt que sur la ballade rock 70's mid tempo choisie par Bowie. Il en ressort une émotion aussi forte qu'en VO, car, si les voix de Peter et de David sont assez éloignées dans leur timbre, ils empruntent tous les deux la même voie ascendante qui mène à l'acmé émotionnelle.
Je pourrais reprendre le paragraphe précédent en changeant le nom de l'artiste et de la chanson reprise et appliquer les mêmes comparaisons et les mêmes conclusions. La majorité des titres sont lents, bercés par les violons et violoncelles dans un registre grave, mais le son est ample, profond, puissant et quand arrivent les contrebasses ("Listening Wind") ou les cuivres ("Après moi") il faut s'accrocher au fauteuil pour ne pas décoller. J'ai bien sûr mes titres préférés - il ne faut pas croire que l'album est uniforme - au nombre desquels je mettrais "Après moi", car outre l'orchestration très symphonique qui est remarquable, le simple fait d'entendre la voix rocailleuse de mon Peter favori prononcer "Après moi le délouge" me transporte de bonheur (je sais, il m'en faut peu !). Autre temps fort, le très Gabrielien "The Book of Love" (emprunté à The Magnetic Fields), seul titre où pointe à l'unisson une deuxième voix, féminine et charmante de surcroit !
Voilà donc un nouveau trait de génie du Gab qui risque de ne pas être entendu comme tel par tout le monde. Si vous aimez la voix de l'Archange et la musique classique tendance romantique, vous devriez être ravi par cette excursion innovante. Si vous n'aimez ni Peter Gabriel, ni les orchestrations classiques, jetez quand même une oreille sur ce Scratch My Back, vous pourriez peut-être changer d'avis...