Pour tous les artistes, musiciens, peintres, écrivains et autres, l’œuvre débute généralement par un brouillon. Il est en effet assez rare qu’un groupe parvienne dès son premier essai à faire la démonstration de tout son talent, et si vous avez des dizaines d’albums qui vous viennent en tête, jetez par deux fois un coup d’œil sur la discographie de vos protégés pour vérifier qu’un obscur enregistrement de leurs premiers ébats ne vous ait pas échappé !
Quoiqu’il en soit, aussi cachés ou ignorés soient-ils, les brouillons sont bien loin d’être inintéressants : on peut généralement y entendre les divers tâtonnements et pistes explorées avant leur révélation au grand public… Ou leur échec. Et c’est donc aujourd’hui le brouillon de Nickelback que nous allons disséquer au cours des lignes qui suivent.
Tout d’abord : qui est Nickelback ? A l’époque : rien, ou plutôt rien de connu, tout au plus quatre jeunes canadiens nourris au grunge Nirvanesque ou Pearl Jamesque, ainsi qu’à quelques touches de Hard-Rock et de sonorités sudistes. Dans sa première configuration, Nickelback est également une affaire de famille, réunissant Chad au chant et à la six-cordes, son frère Mike à la basse et son cousin Brandon à la batterie.
Mais l’époque est aussi particulière puisqu’elle est marquée par la mort d’un certain Kurt Cobain, mort qui soulage toute une génération de parents tandis qu’elle laisse sur le carreau toute une génération d’ados, certes déprimés, mais également armés de guitares et de cheveux gras pour tenter de donner suite à l’œuvre de leur idole déchue ! C’est alors l’éclosion de nouvelles formations qui feront du post-grunge comme d’autres font de la post-modernité ou du post-iche : les Creed, Bush, Staind et… Nickelback, forcément.
Nouveau genre, premier disque, vous ne pourrez pas dire que cette chronique ne vous à pas préparé à accepter la médiocrité de l’œuvre présentée ! Les Kroeger & Co se présentent à leurs futurs fans en faisant l’étalage de toutes leurs envies, les bonnes comme les mauvaises. Après un « Where » très Hard-Rock qui permet à Chad de nous démontrer à quel point son apprentissage du chant fut solitaire et aurait du le rester, c’est un presque punk « Window Shopper » qui nous assaille à grands coups de casserole servant de batterie. S’il y a bien quelques riffs audibles, leur densité est encore bien faible et la production est d’ores et déjà à ranger aux abonnés absents.
On se rassure alors en constatant qu’il ne reste qu’une vingtaine de minutes à subir ce châtiment trop cruel, et on attaque alors le premier exemple de power-ballade made in Nickelback avec un « Fly » qui n’émeut pas plus qu’il n’est inspiré. « Truck » lance à nouveau une nouvelle piste, plutôt intéressante, celle-ci proposant un titre à la mélodie simple mais habitée par une certaine tension, à l’image d’un « D.C. » pas tout à fait inutile également. On notera par ailleurs que la batterie se fait beaucoup plus fine sur ces deux titres, ce qui constitue sans doute leur point fort.
Par respect pour vous, pour le groupe, pour votre serviteur et pour la musique, on passera sous silence les deux derniers méfaits de cette non-œuvre, « Left » et « In Front Of Me », qui tissent avec le vide des liens inquiétants.
Il n’y a pas tromperie sur la marchandise : ce disque est un brouillon, et à moins d’y être contraint et forcé, il ne devra jamais au grand jamais ne serait-ce qu’effleurer votre platine. Décrit comme « horrible » par Chad Kroeger himself, qui fait preuve ici d’une cruelle lucidité, ce premier jet aura au moins permis au groupe d’accrocher l’oreille de quelques producteurs motivés et prêts à offrir une chance à Nickelback de jouer dans la cours des grands, ou tout du moins de jouer de la musique. En attendant, on attend…