Il est de bon ton de prétendre qu’Eros Nécropsique est un groupe bien singulier que l’on ne peut qu’aimer ou bien détester, tant il est vrai que le style embrassé par le groupe ne laisse pas indifférent. En effet, ce duo né de la rencontre entre Olivier Dehenne (chant et clavier) et Cof (basse), propose avec son premier album, "Charnelle Transcendance",une musique sombre, puissante, lugubre et poétique, sur laquelle des textes très crus et très allégoriques évoquent la religion, l’amour spirituel et charnel sous toutes ses formes. Le résultat est assez déstabilisant, et la frontière entre provocation et expression poétique est ici assez ténue. Au-delà de la provocation, le mode d’expression du groupe est si inhabituel qu’en fonction de ses propres valeurs, l’auditeur va s’approprier ses œuvres de telle manière que cela va probablement le conduire vers une adhésion forte ou un rejet viscéral. Le duo nous plonge dans un univers musical assez proche de la scène Dark et Gothique, mais avec un aspect théâtral et emphatique très poussé qui met en avant des textes travaillés et assez inhabituels.
Dès le premier titre, "L’appel De Dyonisos", le décor est dressé. Le rythme est lent, répétitif, hypnotique. La musique, bien que dépouillée, est ambitieuse et grandiloquente. La voix est grave et déclamatoire. Le texte, très charnel, est une invitation à la débauche, à la libération des sens. Avec "Le Mélodieux Ecoulement Du Temps", le propos se fait plus mélancolique. Le texte, un des plus fouillés d’Olivier Dehenne, accompagne un piano et un chant féminin empreints de tristesse.
Avec l’instrumental "Réminiscence", c’est une autre facette de Eros Nécropsique qui apparaît. En effet, outre le côté Dark du groupe, sa musique est parfois influencée par des sonorités que l’on imagine aisément médiévales. C’est le cas ici avec l’introduction d’un tambourin, mais surtout de parties de clavier relayées par une flûte traversière qui renvoient à une ambiance moyenâgeuse. L’intro du poème "Pardon" est d’ailleurs du même acabit.
Avec "Avortement Suicidaire" et "A L’ami Décédé", on renoue avec le côté le plus sombre du groupe. Celui-ci atteint des sommets en termes d’ambiances funestes et tristes. Tout y contribue, orgues, voix, rythmes, sonorités des mots…, à engluer l’auditeur dans une atmosphère lourde et mélancolique et à lui faire partager une souffrance émotionnelle.
L’album se termine en « beauté » avec 2 des titres les plus aboutis (avec "L’appel De Dyonisos") du groupe, à savoir, "Delirium De l’être Seul" qui s’achève sur une orgue funéraire précédée par les cris de démence d’un chanteur possédé, et surtout "Communion" qui repousse encore plus loin les limites en termes de création d’ambiance. Sous couvert d’incantations blasphématoires, ce plaidoyer pour l’athéisme est écrasant de solennité. La dualité entre l’ambiance religieuse et les textes un tantinet licencieux est magique. La puissance de la déclamation est à son apogée et vous saisie par les tripes. Ce morceau est également une sorte de profession de foi pour le groupe qui y présente sa vision double de l’amour, à la fois charnel et spirituel, notamment lors du passage "À Marie je préfère la jolie Messaline", où le contraste entre ces deux symboles antinomiques met en lumière leur ambiguïté. Il est à noter que suite à la diffusion de ce morceau dans le sampler du numéro de décembre 1996 de Hard Rock Magazine, le groupe s’est vu assigner à comparaître devant la 17ème chambre correctionnelle du Tribunal de Paris par l’AGFRIF pour «envolées blasphématoires». Ce sont tout particulièrement les paroles «Assassinons ce soir le grand inquisiteur, qui au nom de l'amour tua les marginaux» qui furent incriminées et qui valurent au groupe une condamnation à 1 franc symbolique de dommages-intérêts pour des paroles qui «dépassent le cadre admissible de l'exercice poétique provocateur ou de la dérision appliquée à des institutions ou des pratiques religieuses». Bigre !
Si ce premier disque n’est pas exempt de défaut, notamment une production assez irrégulière et une linéarité qui ne contribue pas toujours à créer l’ambiance, il n’en est pas moins une œuvre assez unique et originale qui a le mérite de bouleverser nos sentiments. La plongée dans cet univers de tourments et de plaisirs interdits ne se fait pas sans heurts, et on ne peut ressortir de cette "Charnelle Transcendance" sans le sentiment d’avoir flirté avec du sulfureux. Un sulfureux beau et poétique, qui ne verse jamais dans le vulgaire ou la provocation gratuite, et qui utilise somme tout, très peu de moyens pour parvenir à ses fins. La très belle pochette empruntée à Man Ray ne fait que confirmer le sentiment que le groupe s’inscrit dans une recherche constante visant à proposer univers complet ou poésie, philosophie et expression artistique forment un tout. Impressionnant et unique.