Après avoir mis en boite le fabuleux "Grace", le petit Jeff s'en retourne sur la route faire ce qu'il sait faire de mieux : donner des concerts tonitruants. Ayant désormais réuni une équipe soudée (même si Matt Johnson ne supportera pas les tournées et finira par quitter le groupe) il fonce alors même que l'album n'est pas sorti et que le groupe est à peine connu. Qu'à cela ne tienne, ils joueront dans les bars, exercice que Buckley affectionne tout particulièrement.
Finalement, l'album sort et le succès arrive petit à petit. Le disque est particulièrement bien reçu en France et la tournée de Buckley s'attardera beaucoup dans le pays avec en point d'orgue deux concerts à l'Olympia qui seront réunis pour n'être qu'un seul CD live, hommage à un pays (le live n'est destiné qu'à la France) dont il admire la romance et la sensualité, à l'image d'une de ses idoles... Édith Piaf.
Très rapidement le ton est donné, et l'importance de la scène dans la vie de Jeff Buckley saute aux oreilles. Il n'est pas exagéré de dire que ce disque est tout simplement une orgie musicale. Buckley, en état de grâce, communique vraiment avec le public. Entre le ton badin et les rires nerveux, on sent une franche émotion vis-à-vis de ce que lui renvoie la salle (ce que confirment les touchantes notes du livret) Un bon exemple est la version d' 'Hallelujah', étirée avec plaisir, où il est difficile de savoir si le moment est religieux, ironique, malicieux ou simplement intense. Buckley joue tout simplement avec sincérité. La vraie connivence vient du fait qu'il ne se place pas en artiste, mais bien au coté du spectateur. Son approche des reprises montre bien cette candeur ('Kick Out The Jams' notamment, hymne proto-punk sur lequel Jeff s'amuse à se déchaîner comme un gosse).
Au-delà de l'ambiance très confortable dans laquelle le personnage nous plonge, la puissance musicale dégagée ici est énorme. Chaque titre est disséqué, autopsié, remanié, hurlé, martelé. Buckley se débat avec force pour échapper au carcan étroit de la reproduction parfaite. Peu importe d'utiliser les mêmes mots que sur le disque, il faut juste raconter une histoire, chanter la chanson. Du coup certains titres sont assez différents, globalement plus bruts. C'est flagrant sur un titre comme 'Eternal Life' ou encore le sublime 'Dream Brother' qui explose inexorablement, mais le sommet de l'intensité est atteint sur un 'Grace' d'anthologie, au cours duquel Buckley nous déballe ses tripes sur scène. Hallucinant.
Vers la fin du concert, des titres plus doux viennent apaiser l'orage du début. La vision spéciale de la poésie et du romantisme de Jeff Buckley éclate avec ces moments de grande délicatesse. Quelques arpèges, une petite mélodie à chantonner, et vous voilà parti au pays des merveilles, aussi simplement que ça. On notera également un duo de toute beauté, enregistré lors d'un festival. Buckley fait partie de ces chanteurs pour lesquels l'engagement se sent réellement. Il déclarera d'ailleurs: "tu ne peux pas tricher avec ta voix et ne pas y croire, sinon ça s'entend, pas comme sur un instrument".
Jeff Buckley est parti trop tôt et son héritage discographique est souvent limité à "Grace" (quand ce n'est pas uniquement 'Hallelujah') Heureusement quelques supports sont sortis pour nous le montrer dans l'exercice qui le met le mieux en valeur. Pour ça et pour toutes les raisons citées au-dessus, ce "Live à l'Olympia" est tout simplement indispensable.