Trois ans que ce nouvel album des Américains de The Dillinger Escape Plan était attendu par tous les amateurs de mathcore torturé et rageur, après un Ire Works (2007) qui avait confirmé l’orientation prise par le groupe suite à Miss Machine (2004), un peu plus pop, un peu plus mélodique, mais tout aussi dévastatrice. Et voici donc que débarque Option Paralysis et ses dix titres brûlants, album paradoxal d’un groupe qui a définitivement choisi de se libérer de toute contrainte stylistique et d’assumer sans complexe une identité polymorphe que d’aucun pourront taxer, trahissant leur fiévreuse angoisse, de schizophrène.
Car il est vrai que tout excitant soit-il, ce nouvel opus est d’abord effrayant. Effrayant de maîtrise technique, la paire Weinman/Tuttle aux guitares accomplissant un fabuleux travail rythmique, harmonique… et soliste au gré d’escapades jazzy qui, si elles ne surprennent plus de la part de DEP, continuent à rendre sa démarche remarquable. Et n’oublions pas Billy Rymer, nouveau batteur depuis 2009 et cogneur d’exception alliant la plus pure sauvagerie à la plus grande finesse, notamment par la richesse de son jeu de cymbales. Effrayant également le chant de Greg Puciato, qui semble se libérer peu à peu de l’emprise de Patton pour mettre en avant ses propres qualités vocales, tourbillon effréné mêlant bestialité des hurlements hardcore, pureté du chant clair sur des passages pop ou jazz vocal version crooner, incandescence d’un chant rageur qui ne sera pas sans rappeler parfois Mastodon. Effrayante enfin l’intensité sonore de cet album, ravage accompli de tout ce que le métal grand public pourrait reconnaître comme « de bon goût » : pourquoi faire place aux mélodies, s’il s’agit de les déconstruire méthodiquement à coup de riffs tentaculaires et de rythmiques imbriquées sur des tempi effrénés, de scansions sporadiquement explosives ou de dissonances savamment dosées ? Car entendons-nous bien, il n’est pas un seul titre qui ne finisse par être gagné par une rage terrifiante dont l’intensité perverse réside autant dans la constitution de murs sonores d’une complexité impénétrable que dans l’ouverture d’artères trop paisibles pour ne pas être inquiétantes.
A cet égard, Farewell, Mona Lisa est clairement prototypique. Les deux premières minutes sont d’une agressivité totale, le chant hxc de Puciato se frayant un chemin au sein d’une déferlante sonore propre à écorcher les oreilles les plus tolérantes ; et malgré la rapidité du tempo, Liam Wilson à la basse se permet d’imposer une partition mélodique et groovy accompagnant des descentes de manche dont la complexité harmonique, free-jazz dans l’âme, laisse rêveur. La troisième minute, purement atmosphérique, se décline en arpèges mélancoliques porteurs d’une tension qui ne tarde pas à exploser suite à plusieurs soubresauts annonciateurs, avant que le morceau ne se referme sur le refrain, considérablement brutalisé pour l’occasion.
Le reste de l’album est à l’avenant, sans que jamais l’extrême diversité qui le caractérise ne sombre dans la répétition et l’outrance gratuite. Citons les riffs dissonants de Gold Teeth On A Bum et dans le même mouvement ses lignes vocales mélodiques qui exposent de saisissants contrastes ; le funky-trash Endless Endings, à situer entre Mr. Bungle et Faith no More ; la ballade Widower, longue parenthèse jazz portée par le piano de Mike Garson ; le break jazzy tout droit sorti d’un album de Naked City sur Room Full Of Eyes, morceau qui se prolonge ensuite en une sorte de mix improbable entre métal old-school, hardcore et performance vocale pattonienne à base de gémissements d’une malsaine pureté ; et pour finir, le retournement inattendu qui frappe I Wouldn't If You Didn't, qu’une transition bruitiste fait passer du mathcore le plus complexe à une seconde partie lyrique et lumineuse, avant un retour à l’agressivité de la première minute.
Vous l’aurez compris, Option Paralysis est de ces albums qui ne se laissent pas domestiquer. La musique de DEP témoigne d’une rare liberté, entre hardcore, prog et fusion, hostile à toute compromission avec le formatage commercial frappant aujourd’hui de trop nombreux artistes. Et plus que cela, ce nouveau disque s’éprouve comme un brûlot inclassable, dont l’écoute vous fera passer par toute une gamme de sensations dont la moindre n’est pas le furieux désir de jouir sans plus réfléchir d’une telle exubérante violence !