A force d'écouter et de chroniquer des disques, on finit parfois par se dire qu'on a tout entendu. La lassitude fait partie de nos vies musicales, et bien que cela n'empêche pas les coups de cœur, voire les déclarations d'amour, on finit par ne plus chercher qu'une seule chose : la surprise. Etre pris de court, décontenancé, déstabilisé par un élément inattendu qui soudainement offre un regain d'intérêt à un morceau, voire à un album qui jusque là rentrait par une oreille et sortait par l'autre sans faire de vagues. Le rapport avec Rootwater ? Eh bien, leur musique toute entière pourrait être résumée à un amoncellement de ces éléments. Malheureusement, au sein du quintet polonais, on a oublié d'apprendre à écrire pour les lier les uns aux autres...
Souvent comparés à System Of A Down pour leur intégration de moments folk au sein d'un métal tout ce qu'il y a de plus neo, les Polonais de Rootwater sont pourtant une engeance bien différente. Musiciens de première classe, comme un paquet de leurs compatriotes ces dernières années, ils pratiquent un heavy metal impossible à décrire, et qui a probablement atteint l'apogée du bordélisme sur ce troisième opus studio. Melting pot ahurissant d'influences aussi variées qu'étonnantes, Visionism est une création bâtarde, bancale et plutôt difficile d'accès, qui risque de laisser une grande majorité d'auditeurs sur le carreau.
Pourtant, on ne peut nier un sens du riff bien développé, dans une veine thrash moderne à l'américaine (Machine Head, Nevermore et les autres), qui offre un semblant d'épine dorsale à l'album... Puis on assiste, impuissant et parfois tétanisé, à un déluge de choses étranges. La première moitié de ce disque est un calvaire, que le très bon Marciej Taff, au chant, ne parvient pas à égayer, malgré un talent certain (à situer entre Serj Tankian et Mike Patton, toutes proportions gardées). Les éléments de surprise (l'ambiance orientale de "Realize", les arrangements soignés de "Frozenthal") dont je parlais précédemment sont nombreux, mais si maladroitement apposés à ces compositions banales que l'on peine à se retenir de passer directement au morceau suivant. Les choses s'arrangent un peu par la suite, avec notamment le savoureux "The Ministry", très indus dans l'esprit, avec une grosse (et bonne) influence Korn par moments, ou encore avec le morceau-titre, en fin d'album, qui flirte avec le metal prog.
Hélas, en dépit d'une maîtrise technique évidente et d'un style finalement très personnel, la sauce ne prend pas. Les aberrations comme l'introduction, mouvement épique excellent mais n'ayant rien à voir avec le reste du disque, ou "Freedom", sorte de défouloir punk de 35 secondes, ont un intérêt si bien caché qu'il faudrait vraiment me l'expliquer. On ne peut que se sentir proche de ces jeunes musiciens à l'envie palpable, mais le résultat est au final plus que décevant. Le chant est un exemple clair de cette ambivalence, oscillant entre parties claires, harmoniques et réussies (le refrain de "Venture" par exemple) et délires crades et inaudibles (les couplets du même "Venture"...).
A réserver aux férus de nu-metal, et aux amateurs de ce mouvement bordélique en vogue depuis quelques années ; gageons à ce titre que les fans de groupes comme UneXpect, BTBAM et consorts trouveront peut-être dans cette avalanche incohérente un sens qui échappe au thrasheux bête et méchant que je suis.