Cher Albert,
Vous avez eu la bonté de solliciter mon avis à propos de la dernière parution sonographique des Allemands d’Abarax, intitulée Blue Room. Je n’avais pas l’heur de connaître auparavant cette formation, dont la précédente production avait intrigué les oreilles de nos collègues il y a quelque cinq années maintenant, comme le temps passe.
Les quelques recherches que j’ai menées - vous savez, cher Albert, que la curiosité est chez moi une seconde nature - indiquent une forte parenté guitaristique avec le grand Floyd : Abarax est un grand nostalgique de la formation menée par David Gilmour, au point d’articuler toute leur production musicale autour de “l’esprit flamant”, si vous me permettez cette licence.
Je ne pense pas que vous me contredirez si je reprends le lieu commun qui affirme qu’il est périlleux de s’aventurer dans des traces légendaires. Le génial toucher de David Gilmour n’a pu s’exprimer que parce qu’il était porté par des compositions magnifiques, et non pas confiné à la seule et aride technique.
Las, les compositions sont ici mélodiquement étriquées malgré leur durée, et un esprit brillant comme le vôtre aura vite compris que l’attention de l’auditeur peine furieusement à se maintenir en éveil. Pour densifier son propos, le groupe a le mauvais goût de céder à des sirènes que l’on espérait muettes (et ce, pour le plus grand repos des oreilles mélomanes) : je veux parler de ces insupportables rythmiques appuyées à la guitare, qualifiées au gré l’humeur de “guitares-vroum-vroum” ou tout autre qualificatif pachydermique qui exprime adéquatement un manque de subtilité totalement inapproprié : comment en effet concilier le côté aérien de la guitare solo et la pesanteur enclumesque du second pupitre guitare ? D’autant que le reste des arrangements - mon cœur saigne de devoir l’écrire - est d’une indigence frôlant le misérabilisme : claviers uniformes, batterie besogneuse, registre vocal restreint, tutoyant par moment le grotesque (As We Spoke), et utilisant toujours le même procédé : invariablement en force, avec tierce rajoutée sur tous les refrains, une très pâle et très minimaliste copie de Scorpions qui auraient oublié de savoir composer ...
S’il fallait une preuve ultime de ces errements, il vous suffira - si vous en avez le courage - d’écouter l’ultime morceau Howard’s End où même la guitare solo oublie d’être subtile, et où l’on cherche en vain un point d’intérêt musical ou instrumental. Certes, il reste une ligne mélodique, mais fort mal mise en valeur et usée jusqu’à la corde.
Avec ce Blue Room, Abarax s’est aventuré bien loin de la fraîcheur qu’il avait montrée sur son premier album. Même s’il m’en coûte de l’affirmer, un sérieux effort de réorientation est nécessaire pour se hisser de nouveau à un niveau acceptable...