Réduit à un simple trio après le départ d'Alver, Emperor n'hésite pourtant pas à poursuivre son chemin après le mémorable Anthems At The Welkin At Dusk, qui avait permis au groupe d'exploser sur la scène internationale. Ihsahn se charge donc des parties de basses, faisant ainsi ses premiers pas dans le club restreint des multi-instrumentistes, un rôle qu'il continue à exercer de nos jours. Les fidèles Samoth et Trym étant toujours de la partie, le groupe reprend la route du studio pour enregistrer son troisième opus, et annonce un retour aux sources.
Cette déclaration n'est finalement concrétisée que partiellement, car si Emperor livre avec IX Equilibrium son album le plus énervé, il n'en revient pas pour autant sur l'intégration d'éléments "progressifs", au sens large du terme. Et si "Curse You All Men !", terrible opener d'une brutalité littéralement extrême, est de toute évidence respectueux des engagements pris au préalable, la suite de l'album n'est pas aussi tranchée. Le premier élément qui frappe est la qualité sonore ; jamais un album d'Emperor n'a alors bénéficié d'un tel soin en ce qui concerne la production, et après les aspérités parfois rebutantes des deux précédents, c'est avec un certain soulagement et un réel plaisir que l'on entend enfin toutes les pièces du puzzle norvégien. Le second était attendu, et ne déçoit pas : il s'agit bien entendu de la facette épique/mélodique du groupe, qui s'exprime à nouveau par des arrangements titanesques ("An Elegy Of Icaros") et par la présence intermittente d'un chant clair du plus bel effet.
On pourrait être amené à penser qu'en appliquant peu ou prou la même recette d'album en album, Ihsahn et Samoth auraient perdu de leur originalité, mais il n'en est rien, car les deux comparses sont perpétuellement tournés vers l'avenir, et ne s'inspirent que rarement de leurs expériences passées. Perpétuellement bouillonnant, tel le chaudron du mythe, IX Equilibrium est un nouveau brûlot fascinant, brillant d'inventivité et d'une folie parfaitement maîtrisée. L'accueil qui lui sera réservé sera cependant moins éblouissant que celui dont furent gratifiés les deux premiers, la faute à un public de fans plus vraiment surpris après presque dix ans de black métal, et aussi à un contenu encore moins accessible qu'auparavant, qui laissera de nombreux curieux sur le bas-côté, incapables de percer les mystères de cet équilibre à priori instable entre harmonies orchestrales et électricité déchirante. Malgré tout, les prouesses musicales du groupe attireront une audience de musiciens, dont leurs compatriotes d'Ulver, alors en pleine métamorphose eux-mêmes, qui signeront un remix de "Sworn" (inclus en bonus dans certaines éditions de l'album).
Moins impressionnant car moins novateur que ses grands frères, mais pourtant d'une efficacité toujours aussi implacable et d'une grande musicalité, IX Equilibrium est une étape nécessaire dans la transformation du groupe. Parfois maladroit, il semble un peu perdu au milieu d'une discographie jusque là irréprochable, et est certainement l'album leur plus mésestimé. A juste titre ? Pris tel quel, oui, car il est clairement plus faible que les autres ; mais lorsque l'on s'éloigne un instant pour contempler l'aventure dans son intégralité, on réalise qu'il a son importance et qu'il est le lien idéal entre le black métal raw des débuts et les aspirations toujours plus grandiloquentes d'Ihsahn, ce que confirmera l'inénarrable Prometheus deux ans plus tard. Les fans d'Emperor n'auront de toute façon pas besoin d'une piqûre de rappel ; aux autres je déconseille de débuter par cet album assez bancal...