Issu comme ses compatriotes Mayhem, Emperor ou encore Burzum de la première vague du black metal, Enslaved est toutefois une formation bien à part dans le microcosme de l'Inner Circle, dont ils feront par ailleurs rapidement sécession. La grande singularité du groupe est d'oser le mélange des genres, dans une veine très personnelle. En effet, il commence sa carrière par un album de ce qu'il convient désormais d'appeler du "viking metal". Chant en norvégien (voire même en islandais), textes à caractère païen et mythologique, tout y est ; excepté que le duo d'auteurs choisit de ne pas se borner à un "simple" metal, mais propose un croisement inattendu entre rock progressif, folk et black metal.
La tracklist ci-dessous est explicite : 5 pistes, dont une seule sous la barre des dix minutes, voilà qui est tout à fait innovant pour l'époque, et plus encore pour un genre dont l'héritage thrash/death pousse largement à l'écriture de morceaux aussi courts que brutaux. Ici, rien de tout cela : la vision originelle du groupe était de créer des structures de morceaux plus complexes afin de raconter leur philosophie de vie, là encore à contre-courant du mouvement black metal. Là où le black metal "basique" emploie des bases mélodiques pour narrer le mal et les ténèbres, Enslaved préfère plutôt peindre avec sa musique hypnotique des paysages qui ne glorifient aucun concept lié à la religion ou à l'individualité, mais plutôt des concepts hérités du paganisme, notamment un immense culte à la Nature, et une idée très singulière de l'héroïsme, au sens large du terme. Il est d'autant plus remarquable de signaler qu'Ivar Bjornsson, auteur-compositeur de l'intégralité de l'album, n'avait que 17 ans à l'époque ! Un morceau comme "Midgards Eldar" ("les feux de Midgard") est un excellent exemple de la maturité étonnante dont il faisait déjà preuve.
Cette acceptation des deux facettes du monde, Lumière et Ténèbres, qui deviendra le moteur de l'expression artistique du groupe au fil de sa carrière, se retrouve donc déjà sur ce premier opus, encore un peu hésitant mais qui préfigure l'évolution à venir. Loin des carcans déjà tristement établis par certains des pionniers du genre, Enslaved trace déjà indépendamment sa route, et apporte, à l'image d'Emperor à la même époque, les premières bribes de crédibilité pour le black metal, qui n'est décidément pas que du death metal satanique. Pas franchement indispensable, excepté pour les férus du mouvement BM, Vikinglidr Veldi est cependant extrêmement intéressant par son audace stylistique, et mérite de rejoindre votre collection, ne serait-ce que pour ce qu'il dévoile de l'avenir d'Enslaved.