Sentant peut-être une irrémédiable évolution se faire jour dans leur musique, Ivar Bjornson et Grutle Kjellson choisissent, un an après un Eld pourtant diablement ambigu, de faire de Blodhemn une dernière offrande au viking métal. Ils composent ainsi, dans cette urgence typique du groupe, 40 minutes de black métal féroce. Pistes courtes, blast-beat incessant, et la quasi-absence de chant en voix claire témoignent d'une direction totalement assumée ; et ne parlons même pas de la pochette, à la limite de la parodie comme celle de l'album précédent.
Et il est comme d'habitude impossible de nier, à l'écoute, qu'Enslaved est bel et bien un groupe de black métal. Un black métal réfléchi, déjà adulte, qui s'ouvre à des éléments extérieurs pour progresser. Citons dans cette optique un titre comme "Ansuz Astral", dont la structure aux changements de rythme surprenants joue avec les codes du black pour en extirper la quintessence. Cependant, les aspects progressifs ne disparaissent pas pour autant complètement, à l'image d'un chant clair qui refait surface ici et là ("I Lenker Til Ragnarok") pour adjoindre au déferlement de riffs et de rythmiques martelées un contraste bienvenu.
La production elle-même se veut plus claire que par le passé, plus nette et plus affirmée, comme en témoigne la partie instrumentale du morceau-titre et son soli mélodique et épique en diable. A noter qu'il s'agit là du seul album d'Enslaved à avoir été produit à l'Abyss Studio de Peter Tägtgren, musicien suédois connu pour ses collaborations avec d'autres grands noms de la scène extrême scandinave (de Bloodbath à Marduk en passant par Immortal ou Dimmu Borgir), et l'apport d'un producteur externe témoigne de la volonté du groupe de faire évoluer ("par la force" si nécessaire) leur identité sonore ; une démarche intelligente à ce point de leur carrière, qui sera immédiatement suivie d'effets et leur permettra d'atteindre de nouveaux sommets.
Le drakkar lève en effet l'ancre pour la dernière fois ; l'album suivant, Mardraum, verra Enslaved s'éloigner définitivement du black métal tels qu'il le pratiquait jusque là... Blodhemn joue ainsi son rôle de transition avec un certain panache, et scelle l'ère Viking d'un groupe décidément inclassable, avant que celui-ci ne saute le pas pour de bon.