A l'image d'un Vulgar Display Of Power, Reign In Blood fait partie de ces chefs-d'œuvre paroxysmiques à propos desquels tout à déjà été dit. Mais dans l'éventualité où vous reviendriez d'un séjour prolongé sur Pluton (théoriquement, c'est possible, je n'ai aucune preuve), abordons le cas de cette démonstration d'insoumission.
Suite au succès de Hell Awaits, Brian Slagel, patron de Metal Blade et alors producteur/manager du groupe, sent que Slayer est désormais apte à passer la vitesse supérieure, tant musicalement que commercialement. Conscient que ses moyens dans un domaine comme dans l'autre sont des plus limités, il entreprend de négocier auprès de grosses maisons un contrat pour ses protégés. Rick Rubin, jeune producteur spécialisé dans le hip-hop et co-fondateur de Def Jam Records, est l'un des premiers à se manifester. Il finira par emporter le deal après des mois de négociations tortueuses (et grâce au concours, entre autres, de Dave Lombardo, qui le contactera directement pour accélérer le processus). Slagel, réticent au premier abord (pensez-vous : un label de HIP-HOP !) finira par reconnaître l'intérêt, la passion que manifeste Rubin. Celui-ci n'avait en revanche pas prévu que l'arrivée dans son écurie d'un groupe à l'image aussi ingérable génèrerait autant de problèmes. Il sera en premier lieu contraint de trouver un distributeur, Columbia refusant de s'afficher de près ou de loin avec Slayer (l'album sortira via Geffen) ; puis de fonder son propre label, American Recordings, suite à des différents insolubles avec son partenaire Russel Simmons ; différents qui ne furent jamais ouvertement débattus mais dont Slayer fait très probablement partie intégrante.
Ce dévouement entre le groupe et son nouveau producteur se manifestera également sur le plan artistique, car il s'agit de la première incursion de Rubin dans le milieu du métal, et son approche de fait inhabituelle va métamorphoser la musique des Californiens. Pour la première fois, un avis véritablement extérieur vient s'imposer à Slayer, monstre jusque-là indomptable et qui pêchait par excès de sauvagerie. Une sauvagerie que Rubin va contenir, affiner, raffiner. Le résultat : 10 titres en 28 minutes, des morceaux à l'impact systématique, immédiat, au son étonnamment net, qui tranchent radicalement avec les réalisations précédentes. Exit les vagabondages de Hell Awaits et les grésillements de Show No Mercy. Chaque riff s'échappe des enceintes comme une bête féroce au rythme des coups de fouet de Lombardo. Un rythme d'une intensité carrément extraterrestre pour l'époque, la moyenne de l'album étant de 210 BPM... Sur ces 10 titres, que des tubes, uniquement destinés à devenir des favoris du public ; le plus fameux de tous est certainement le dernier, "Raining Blood", au riff connu dans tout l'univers.
Sans la moindre promotion en radio, Reign In Blood pénètre avec fracas le Billboard 200 ; c'est le début de la légende. Sortie de son enclave underground, la Bête se révèle aux yeux du monde, et la donne change pour toujours. Quelques années plus tard, en novembre 1992, l'album est certifié Disque d'Or aux Etats-Unis. Le thrash n'est plus un sous-genre, une mouvance, une lubie ; mais le vilain petit canard de la musique mainstream, dont les pontes n'auront, malgré tous leurs efforts, jamais pu stopper la progression. L'influence de cette galette sur le petit monde du métal extrême sera considérable, et le death métal dans son ensemble doit tout à "Angel Of Death". Unanimement salué par les critiques du monde entier comme l'un des, si ce n'est LE meilleur album de métal de tous les temps, Reign In Blood est un mythe absolu, la définition-même d'un genre et probablement son chef-d'œuvre le plus évident. Il aura d'ailleurs l'honneur d'être joué intégralement au cours d'une tournée ; l'une de ces prestations démentes, avec douche de sang sur scène pour le final, se trouve sur le DVD Still Reigning, complément parfait de la version studio. Eternel, et tout simplement indispensable...